film

Nemo (Christophe Gans, 1995)


Nemo (Christophe Gans, 1995)
titre original :Nemo
type :film (inachevé), 150 min
année :1995
pays :France
réalisation :Christophe Gans
scénario / adaptation :Christophe Gans, Thierry Cazals, Michael Cooper
direction artistique :Marc Caro, Thierry Ségur, Matthieu Lauffray
interprètes :Billy Crudup, Keanu Reeves, Nicolas Cage, Deborah Kara Unger
producteur :Samuel Hadida
site web :http://www.lauffray.com/


L'histoire

Le scénario de ce film inachevé mettait en scène le personnage du capitaine Nemo, en amont de l'histoire de Vingt mille lieues sous les mers, alors qu'il n'était pas encore le capitaine du submersible. Fait assez rare parmi les adaptations, l'on aurait pu découvrir à l'écran les premières années de sa vie d'adulte, pressentant ce qui allait être à l'origine de sa solitude, mais aussi de la répugnance envers l'humanité qui allait l'envahir, et affecter ses sentiments vers une certaine folie. Ainsi l'action devait se dérouler en 1855, en pleine Guerre de Sécession. Les conditions de la création du Nautilus auraient également dû nous y être dévoilées, ainsi que ses premiers "pas" en mer. A cela, il avait été ajouté un mystère que Nemo et ses hommes devaient tenter d'élucider, celui d'un fait étrange provoquant des mutations sur l'environnement. Gans voulait également nous dévoiler la fin tragique de l'Atlantide. Et bien évidemment, une rencontre avec quelque animal marin fut couchée sur le papier.



A propos de cette œuvre

Christophe Gans, critique de cinéma et créateur du magazine Starfix, qui n'a alors réalisé en tant que cinéaste qu'un seul long-métrage Crying Freeman, et auparavant un sketche du film Necronomicon, ainsi que plusieurs courts-métrages pendant les années 80, se lance en 1995 dans un projet des plus ambitieux... Trop peut-être pour un si jeune metteur en scène, bien que ce soit les circonstances qui l'empêcheront d'aller au bout de cette aventure, et non son talent de cinéaste, ni ses capacités à gérer une telle entreprise. Il est par ailleurs regrettable de ne pouvoir compter un peu plus de longs-métrages dans sa filmographie, tellement chacune de ses réalisations est comme un petit diamant dans le coffre au trésor du cinéma mondial. Il est à souligner également que Christophe Gans fait les films qu'il veut faire, c'est-à-dire que s'il pense que tel sujet ou telle adaptation est possible, il décide de se lancer dans l'aventure, même si à plusieurs reprises celle-ci n'a pu aboutir. D'ailleurs sa filmographie compte plus de projets inaboutis que de films achevés. Cela n'est en rien négatif, tout au contraire. Ainsi le Nemo de Gans nous fait malgré tout rêver pour ce qu'il aurait pu être, tout comme d'autres projets inaboutis du réalisateur sur les personnages populaires que sont Bob Morane et Rahan. A cet égard, après Crying Freeman, lui fut proposé des adaptations de Ken le survivant, Devilman et Dragon Ball qu'il refusa, ces manga et leurs adaptations animées n'étant pas évidentes à retranscrire en prise de vue réelle. Pour preuve, chacune d'entre-elles a déjà été transposée de la sorte, cela sans grand éclat. Toutefois en 1997, il accepta d'adapter à l'écran le fameux univers de Patlabor. Mais hélas, à nouveau, et malgré un certain avancement du projet, celui-ci ne vit jamais le jour. Il avait un temps eu également l'envie de s'attaquer à une autre oeuvre graphique japonaise avec Gunnm de Kishiro Yukito, mais cela ne resta encore qu'un désir. C'est d'ailleurs après avoir vu et apprécié une oeuvre japonaise d'animation qu'il décida de se lancer dans l'adaptation de Vingt mille lieues sous les mers. Il s'agissait de la première série télévisée du studio Gainax, Nadia et le secret de l'eau bleue.

le Nautilus (Matthieu Lauffray)

A bord du Nautilus de Gans

Le scénario de Nemo fut écrit par Thierry Cazals, qui avait précédemment signé pour Christophe Gans celui de Crying Freeman. Michael Cooper participa également à son écriture, essentiellement dans la dernière partie de celui-ci. Christophe Gans, qui en avait signé le script de base, travailla de même pleinement à sa conception. Le réalisateur voulait faire de Nemo un personnage proche de ceux que l'on pouvait voir dans les pulp fictions américains d'avant guerre. Il voulait s'inspirer de cette imagerie pour en colorer son film. Il passait ainsi de l'adaptation d'un manga encore peu connu en France, à celle d'une histoire connue de tous, même de ceux qui ne l'avait jamais lue. Travail délicat que de créer ce qui l'a déjà été, et qui a alimenté les imaginations depuis plus d'un siècle. Il s'agissait en fait plus d'une renaissance du mythe que d'une nouvelle interprétation.

Marc Caro (Delicatessen, La cité des enfants perdus, Vidocq), nantais d'origine, dessinait quelques croquis de costumes pour Alien la Résurrection réalisé par son compère Jean-Pierre Jeunet, quand il fut choisi par Christophe Gans pour être le directeur artistique de son Nemo. Marc Caro fut dès son plus jeune âge un fervent lecteur de Jules Verne. Cet écrivain et les illustrateurs qui l'accompagnaient influencèrent beaucoup son imaginaire. C'est grâce à lui qu'il s'intéressera à d'autres auteurs de science-fiction comme H-G Wells, Isaac Asimov ou Philip K Dick. Il s'inspirera de cet univers industriel dans ses créations, notamment dans les décors pour La cité des enfants perdus. On regrette encore de ne pas avoir vu le Nautilus sortir de son imaginaire. Pour lui, il était évident de participer à ce projet, Nemo étant à ses yeux un personnage des plus captivants.

C'est en se basant sur les travaux préparatoires de Caro que Matthieu Lauffray (Le Serment de l'Ambre, Prophet), dessinateur pluridisciplinaire et scénariste alors à ses débuts, aura en charge quelques parties du story-board dont il créera les scènes d'actions, ainsi que celles dont il avait conçu les décors. Il produira alors de nombreux crayonnés sur l'Atlantide, donnant une vision préalable de ce qu'aurait pu être l'ampleur visuelle de ce film. Il travaillera à nouveau auprès de Christophe Gans pour Le Pacte des loups (il prête notamment sa main pour les scènes où le personnage de Samuel Le Bihan dessine) et Saint Ange. De nombreuses illustrations de ce projet sont présentes dans l'Art book de Matthieu Lauffray, sorti en 2004 sous le titre Proto 2003, Les univers de Matthieu Lauffray aux éditions Soleil (collection Beaux livres). C'est par ailleurs avec le site de cet artiste une des rares sources où l'on peut voir les esquisses de ce projet. Christophe Gans s'est exprimé en ces termes sur le talent du dessinateur "Ce type est une éponge, un enfoiré de doué qui a réussi à intégrer tout l'art graphique de la BD américaine des années 50, dont celui de Frazetta" [interview Bodoï]
Nemo (Matthieu Lauffray) Claire Wendling (Les lumières de l'Amalou), qui collaborait déjà avec le jeune artiste sur des travaux de design pour la société de jeux vidéo Darkworks, créera également de superbes peintures laissant présager un esthétisme que l'on aurait certainement beaucoup apprécié s'il avait été déposé sur la pellicule. Olivier Vatine (Aquablue), un autre proche de Matthieu Lauffray qui avait dessiné les couvertures de ses adaptations de Star Wars en comic book, fut aussi de l'équipage. L'illustre Philippe Druillet fit également quelques études de dessins, et Jean Rabasse, décorateur sur La cité des enfants perdus, s'adjoignit à cette aventure.
On ajoutera à ces noms celui de Thierry Ségur (Légendes des Contrées Oubliées) qui réalisera ici le story-board, comme il l'avait fait précédemment pour Christophe Gans sur Trooper, Necronomicon et Crying Freeman, et comme il le fera ensuite sur Le Pacte des Loups.

Pour Christophe Gans, le cinéma est indissociable de l'art graphique. C'est pourquoi pour cette oeuvre qu'il voulait proche des pulp, son choix sur certains dessinateurs était important. Lui-même est un excellent dessinateur qui s'investit pleinement dans la conception du story-board. Il aime à préciser que de nombreux metteurs en scène, des plus grandioses à ses yeux, sont de grands artistes dans le domaine du dessin ou de la peinture, comme Tim Burton, Federico Fellini ou encore Kurosawa Akira, et que cela se voit dans leur création cinématographique. Le cinéaste a également une admiration sans faille pour l'oeuvre graphique de Burne Hogarth qui l'a beaucoup inspiré, et qui influencera bien d'autres artistes, tel le travail d'André Chéret pour son Rahan, et dont le Tarzan a même combattu au corps à corps un céphalopode, combat repris également dans la série produite par Filmation en 1976.
Hélas, tout comme Bob Morane, Rahan et quelques autres, ce projet sur lequel plusieurs grandes personnalités artistiques se penchèrent et produisirent de nombreux travaux, ne verra pas le jour. Le scénario fut entièrement écrit, l'attribution des rôles était plus ou moins engagée, mais peu avant d'entreprendre les préparatifs pour un futur tournage dont certains lieux en Virginie, à Hawaï et en France avaient été étudiés, la production fut stoppée. Cela arriva entre autre suite à des mésententes concernant la sélection de certains acteurs. Au tout début, Christophe Gans avait l'intention d'engager Billy Crudup pour le rôle de Nemo, mais celui-ci était peu connu alors, si ce n'est au théâtre. Il venait tout de même de tourner auprès de Robert de Niro, Kevin Bacon, Vittorio Gassman, Brad Pitt, Jason Patric ou encore Dustin Hoffman dans un seul film, Sleepers de Barry Levinson, sorti en France en octobre 1996. Christophe Gans le choisira plus tard pour le rôle de Bob Morane qui rejoindra l'inachevé Nemo. A quelques deux mois du tournage semble-t-il, les producteurs britanniques lui préférèrent Keanu Reeves qui avait à son actif une dizaine d'années d'expérience, avec une vingtaine de longs-métrages dans sa filmographie, dont les derniers en tête d'affiche furent de grands succès, tels Little Bouddha (1994, Bernardo Bertolucci), Speed (1994, Jan de Bont) ou Poursuite (1996, Andrew Davis). Si ce dernier n'interpréta pas Nemo, il incarna peu après, mais avec le « m » en moins, le rôle de Neo dans Matrix (1999). On a pu lire également que Wynona Ryder a paraît-il eu connaissance du manuscrit et qu'elle aurait demandé à participer à ce projet pour deux millions de dollars. Mais Christophe Gans aurait répondu qu'il préférait dépenser cette somme pour la création du poulpe géant. Parmi d'autres artistes ayant été cités pour tenir quelque rôle, il y eut Nicolas Cage ou Ralph Fiennes pour Nemo, ou encore l'actrice Deborah Kara Unger qui participera au Silent Hill de Gans. A cet effet, au contraire de l'oeuvre originale, des rôles féminins avaient été créés.

Christophe Gans ayant basé une partie de la production sur son choix personnel, contesté par les producteurs, il se détourne du projet pour quelques temps. De plus, il vient de lire le script du Pacte des loups que lui a envoyé François Cognard de Canal+ Ecritures. Il l'a tellement apprécié qu'il décide de suite, avec Samuel Hadida, créateur de Metropolitan Filmexport, de lui donner forme. Nemo attendra. Mais Nemo attend encore, ou plutôt Nemo n'attend plus, le projet étant suspendu depuis trop longtemps pour être repris. Mais qui sait...
Tous ces artistes réunis sur le même projet nous promettaient une oeuvre forte. Cela ne pouvait qu'enthousiasmer le public, et cela l'exalte encore, rien que de voir sur le papier l'énumération de ces noms aux divers talents prestigieux, associés à une telle oeuvre... Mais celle-ci repose désormais à quelques vingt mille lieues sous les mers de l'oubli.

Jacques Romero, 07/2007

Un grand merci à Thierry Cazals pour ses précisions quant aux divers scénaristes de ce projet. Thierry Cazals se consacre depuis exclusivement à son œuvre littéraire poétique, destinée en partie à la jeunesse, où ses haïkus, poèmes, récits et contes sont autant de petits bonheurs.
Site officiel de Thierry Cazals

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