film

The League of Extraordinary Gentlemen (Stephen Norrington, 2003)


The League of Extraordinary Gentlemen (Stephen Norrington, 2003)
titre original :The League of Extraordinary Gentlemen
titre français :La Ligue des Gentlemen Extraordinaires
type :film, 110 min
année :2003
pays :États-Unis / Royaume-Uni / Allemagne / République Tchèque
réalisation :Stephen Norrington
scénario / adaptation :James Dale Robinson
interprètes :Naseeruddin Shah, Sean Connery, Peta Wilson, Tony Curran, Stuart Townsend, Shane West
studio :20th Century-Fox
site web :http://imdb.com/title/tt0311429/


A propos de cette œuvre

Par bien des points, cette adaptation est différente de l'histoire conçue par Alan Moore. D'entrée de jeu, pour souligner cela, la date qui nous est présentée, et situant ainsi l'action qui va s'égrener sur l'écran, est 1899, soit un an après les évènements contés par l'auteur de la BD. En partant de ce premier élément modifié, la libre adaptation était ouverte à bien d'autres changements. De même, mais cela fut déjà le cas pour d'autres productions du studio, le logo de Twentieth Century Fox (20th Century Fox) se fondera dans le décor de la première scène, confirmant que l'univers référentiel s'étalant sous nos yeux est aussi celui du cinéma.
Dans la bande dessinée d'Alan Moore, la Ligue est composée de 5 membres : Wilhelmina Murray, alias Mina Harker, Allan Quatermain, le Dr Henri Jekill, Hawley Griffin alias l'homme invisible, et le capitaine Nemo (ou 6 si l'on considère le second état de Jekill, ou encore 7 si l'on compte le Nautilus). La version cinématographique ajoute à ce groupe deux autres éléments :

Tom Sawyer : celui-ci, étant présenté comme un jeune adulte, joue ici les agents secrets et introduit ainsi un personnage typiquement américain. La production du film l'étant en partie, il ne pouvait pas ne pas y avoir un représentant des États-Unis. A cet égard, on peu émettre un doute quant à la présence de ce dernier dans un tel univers, les personnages le peuplant originellement étant tous, à divers degrés, psychologiquement déstabilisés, alors que lui et l'espace littéraire qu'il occupe en est à l'opposé. Il est par ailleurs, comme Allan Quatermain, démuni du moindre pouvoir extraordinaire, si ce n'est son courage et son habileté avec les armes à feu. Toutefois sa présence n'est pas déstabilisante si l'on regarde cette adaptation sans oublier le contexte du Wold Newton Universe créé par Philip Jose Farmer (voir notre article sur la BD). En effet, l'univers que Moore a créé repose dans une certaine mesure sur celui de Farmer. Peut-être était-ce de la part du scénariste James Dale Robinson, une envie de rendre hommage au grand écrivain du Fleuve de l'éternité qui avait mis en scène, dans ce dernier, un certain Sam Clemens alias Mark Twain, créateur de Tom Sawyer. La relation entre ce jeune héros et le vieux Quatermain se brodera entre autre sur le fils que l'aventurier a perdu, et qu'il retrouve un peu en la personne de Tom Sawyer. Une passe d'arme est ainsi suggérée tout au long de l'aventure, et confirmée à la fin du métrage.

Dorian Gray : le fameux personnage créé par Oscar Wilde. L'ajout de celui-ci, dont l'extraordinaire réside dans une vie éternelle était, pour le scénariste du film, d'une certaine évidence. Il faisait ainsi un petit clin d'œil à la couverture du premier volume de la bande dessinée de Moore et O'Neill. Sur l'illustration qui la couvre, on peut apercevoir un tableau représentant le Nautilus du capitaine Nemo. La peinture y est signée par un certain Basil Hallward qui n'est autre que l'artiste qui peignit le portrait de Dorian Gray dans le roman éponyme d'Oscar Wilde. De la sorte, Dorian Gray se retrouve dans la version filmique de cette Ligue des justiciers extraordinaires. Il y jouera au final le rôle du traitre qui était, dans la version originale, attribué à l'homme invisible lors de la seconde aventure présentant l'invasion martienne.

Ce que l'on pourra regretter de cette adaptation, c'est le peu de respect relatif par rapport à sa source. Dans celle-ci, l'action principale se situe quasi exclusivement à Londres ou sa banlieue, si l'on excepte les passages au Caire et à Paris. Si cette géographie est conservée dans la première partie du film, la suite du scénario nous emmène à Venise où une réunion des chefs d'États doit avoir lieu suite aux menaces qui pèsent sur le monde, puis à l'autre bout du fleuve Amour, en Mongolie, dans la forteresse de James Moriarty. L'atmosphère est ainsi différente, car même si le rôle du grand méchant est encore attribué à ce dernier, ennemi juré de Sherlock Holmes, il ne partage plus cette fonction avec Fu Manchu qui est totalement évincé du casting. Mais le scénariste aura l'idée original d'associé Moriarty au personnage du Fantôme de Gaston Leroux issu de son célèbre Fantôme de l'Opéra, même si toutefois on peut être surpris, leur personnalité étant peu semblable. En effet, Moriarty apparaît tout d'abord dans ce film, le visage caché par un masque, et déclinant pour seule identité celle du Fantôme (Alan Moore fera justement référence à ce personnage dans la troisième aventure de la Ligue se déroulant au 20ème siècle). La Mongolie peut évoquer également Fu Manchu, l'identité de ce personnage ayant toujours été caractérisée du terme général d'asiatique. De même, on pense de suite, pour ce pays, à un autre conquérant : Gengis Khan.
Contrairement à la BD, M (qui oeuvre pour le gouvernement, mais qui n'est autre que Moriarty) nous apprend qu'aucune Ligue n'a jamais existé, que ce n'était qu'une mise en scène pour que tout semble plus véridique. De plus, le film s'inscrit dans le temps du 20ème siècle, le rêve de Moriarty n'étant qu'un premier pas vers les conflits mondiaux. On peut ainsi voir dès le début du film une imagerie propre à une future armée allemande. Malgré ces distinctions, on pourra apercevoir encore ici et là quelques clins d'œil à l'oeuvre originale, mais qui n'auront aucun impact sur le scénario, comme dans une rue, une affiche sur un mur évoquant des évènements sur Mars.

Le caractère des personnages est également tout autre. L'exemple le plus frappant étant le comportement de Wilhelmina Murray qui est, d'une certaine façon, tout en retenue dans l'original, et bien plus explicite sur le grand écran. De même, celle-ci, seule élément féminin, est en quelque sorte le centre de gravité de la bande dessinée, ce qui n'est plus le cas au cinéma, le rôle composé pour la grande star du film - Sean Connery - lui volant la vedette, et par là même, ce qui faisait le charme de la BD. De plus, le rapport amoureux qui nait entre Wilhelmina Murray et Allan Quatermain dans la première aventure écrite par Moore, et qui se révèlera pleinement dans la seconde, est dans le film totalement eclipsé. En effet, Wilhelmina Murray, dont on devine qu'elle eut une aventure par le passé avec Dorian Gray, semble encore éprouver des sentiments à l'égard de celui-ci. L'idée de lier ces deux êtres n'est pas mauvaise, ceux-ci ayant tous deux le pouvoir de la vie éternelle, Dorian grâce au portrait qui vieillit à sa place, et Wilhelmina dont la nature humaine s'est modifiée en vampire depuis qu'elle fut mordue par le comte Dracula. Ainsi le film présente une légère romance entre deux êtres nourris par l'éternité, alors que Moore, en présentant le couple Murray et Quatermain, offrait une certaine opposition de temps. De même, Quatermain se retrouve dans le long-métrage un peu plus fringant que son original : il n'est plus au Caire sombrant dans la décrépitude, mais en Afrique où il semble vivre paisiblement. On aurait aimé voir Sean Connery dans un rôle conçu de manière plus intéressante pour sa dernière apparition au cinéma, l'acteur ayant décidé depuis de mettre un terme à sa carrière, tout du moins dans des long-métrages.

Les idées de transpositions, même si elles peuvent être appréciables pour quelques unes à un certain degré, imposées parfois par les aléas d'une telle production dont le scénario peut être influencé par divers atermoiements (droits et autres), ne sont pas entièrement responsables d'un certain manque attractif dans le déroulement de l'histoire. La faiblesse réside également dans une mise en scène peu stimulante et au final des acteurs assez peu convaincants (surtout de par le traitement de leur personnage), si ce n'est Sean Connery qui semble toutefois aussi fatigué que le personnage qu'il interprète. On peut ainsi concevoir depuis le From Hell de Tim Burton, qui de même ne l'avait pas satisfait, les craintes d'Alan Moore à voir sur grand écran, l'une de ses créations adaptées pour le cinéma. Justement, depuis cette Ligue, il a décidé de ne plus voir son nom apparaître sur les génériques adaptant ces oeuvres. Toutefois, on peut voir dans les versions cinématographiques de Watchmen ou de V pour Vendetta, un résultat plus appréciable. Mais il faut aussi comprendre, et l'Histoire mondiale de la cinématographie en est pourvue de preuve, qu'une adaptation est souvent une tout autre oeuvre que l'originale qu'elle tente de copier, ou tout au moins de reproduire dans un langage et un espace bien différent, et aux multiples intervenants. Ainsi, une adaptation n'est justement qu'une adaptation. Aussi bonne soit-elle, elle n'envoie qu'une certaine image de l'original, parfois plaisante, ou dans le cas de la Ligue peu attrayante. Il faut aussi préciser que certaines oeuvres se prêtent plus facilement à différentes transpositions, contrairement à celles de Moore dont la richesse scénaristique et les divers procédés de narration sont justes assez complexes pour compliquer la tache à un scénariste et un réalisateur encore assez peu expérimentés dans ces rôles respectifs. Ainsi le metteur en scène est plutôt reconnu pour être un technicien des effets spéciaux, et le scénariste est un spécialiste des comics dont il a écrit de nombreuses histoires pour Batman, Superman ou encore Starman. Hélas leur association n'a pas réussit à produire un objet intéressant, et le film reste un divertissement tout juste acceptable, voire par moment très ennuyeux, offrant son lot de scènes d'action, dont certaines sont assez peu maitrisées dans leurs élaborations. Les dialogues bénéficient tout de même d'un certain humour se voulant proche de l'oeuvre original, mais avec moins de cynisme tout de même. Au regard de la BD, et même sans s'y référer, ce film reste tout simplement décevant.

Jacques Romero, 08/2009

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