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L'Attaque du Cyclope (Rémi Teulière, Yannick Sellier, 2011)


L'Attaque du Cyclope (Rémi Teulière, Yannick Sellier, 2011)
titre original :L'Attaque du Cyclope
type :roman graphique, 86 pages
année :2011
pays :France
scénario / adaptation :Rémi Teulière
compositeur :Guillem Pey, Sébastien Hue, Didier Rodriguez
dessins :Yannick Sellier
éditeur :Collectif Territorey
éditions :Collectif Territorey
site web :http://www.territorey.org/?


A propos de cette œuvre

L'œuvre présentée en cette page n'est pas une adaptation de Vingt mille lieues sous les mers ou de L'île mystérieuse. Elle met toutefois en scène le personnage phare de ces deux romans dans un tout autre contexte, non sans références à son passé.

Dans un format à l'italienne, le roman graphique L'Attaque du Cyclope propose de retrouver la créature de la mythologie grecque, dont le visage pourrait rappeler quelques yôkai du folklore japonais, voire quelques étranges créatures du petit ou du grand écran de l'archipel, dans une histoire de science-fiction fantastique se déroulant en Chine. Rémi Teulière, son auteur, s'exprimait ainsi sur cet ouvrage pour la première fois auprès de la journaliste Laura Causanillas pour L'Indépendant (juin 2011) : Pour évoquer le choc des cultures entre la Chine et l'Europe, nous avons choisi de parodier la mythologie grecque, symbole de l'archaïsme de l'Europe, et de le confronter au XXIIe siècle pendant les Jeux Olympiques de Pékin. Le tout sur fond de crise Internet où nombre d'informations du monde ont disparu. C'est justement en 2008, lors des XXIXe Jeux olympiques d'été, à Pékin, que l'idée est venue à Rémi Teulière de se positionner sur cet événement et ce lieu pour créer cet album, le 4ème qu'il conçoit avec le dessinateur Yannick Sellier, cela en total indépendance au sein du Collectif Territorey.

Ainsi, le Cyclope Polyphème poursuivant Ulysse et ses compagnons est téléporté par erreur par Poséidon, celui-ci ayant ouvert un vortex spatio-temporel pour permettre au monstre de rattraper les hommes, vortex rappelant le maelström dans lequel se perdit le Nautilus à la fin de Vingt mille lieues sous les mers. Polyphème passe alors de la Grèce Antique à la Chine du XXIIe siècle dirigée par un clone de Mao Tse-Toung, et ce en ce pays lors d'un événement diffusé ou imposé sur toutes les télévisions du monde, les Jeux Olympiques Eternels de Pékin, ceux-ci ayant lieu tous les cinq ans. Sans avoir pleinement conscience où il se trouve, Polyphème espère encore trouver Ulysse pour se venger, ce dernier lui ayant crevé l'oeil et prétendant, selon sa version des faits (celle rapportée par Homère), que le monstre l'avait emprisonné, lui et ses compagnons. Ce sera toutefois une autre ''personne'' qu'il rencontrera...

Aussi, parmi les principaux protagonistes de cette histoire, outre Poséidon, Ulysse, Mao 2.0 et le Cyclope, il y a le capitaine Nemo représenté dans un uniforme d'amiral, mais aussi dans sa tenue de prince indien, comme à l'époque où il se nommait le prince Dakkar. Mettre en relation ce personnage issu de Vingt mille lieues sous les mers et de L'île mystérieuse de Jules Verne à cet être provenant de L'Odyssée d'Homère est une association fort justifiée, le voyage sous les mers et les océans du Nautilus – et dans une vision plus large l'ensemble des Voyages Extraordinaires –, ayant à un certain degré une dimension proche du périple d'Ulysse. A cet égard, dans le récit d'Homère, sur l'île des Cyclopes, Ulysse trompera Polyphème en lui disant se nommer Oûtis, qui comme Nemo en latin, se traduit en grec ancien par ''personne''. De même, le roman sous les mers de Verne évoquera clairement à quelques reprises, et parmi d'autres références helléniques, le récit homérien, notamment quand le professeur Aronnax découvre les oeuvres du poète dans la bibliothèque du capitaine, où quand ce même Aronnax voit en Ned Land comme une sorte d'Homère canadien : Peu à peu, Ned prit goût à causer, et j'aimais à entendre le récit de ses aventures dans les mers polaires. Il racontait ses pêches et ses combats avec une grande poésie naturelle. Son récit prenait une forme épique, et je croyais écouter quelque Homère canadien, chantant L'Iliade des régions hyperboréennes. Le récit de Rémi Teulière appuie notamment cette justification en donnant au capitaine Nemo un rôle quelque peu similaire à celui d'Ulysse...

Concernant le Nautilus, Yannick Sellier (actuellement bibliothécaire) a donné au sous-marin une forme très originale, mêlant également à sa structure générale, une transformation en une sorte de robot à la Go Nagai, pouvant rappeler également dans sa phase volante avec une certaine imagination et dans un contexte vernien, l''Epouvante de Robur le conquérant, mais aussi le robot soldat dans Laputa, le château dans le ciel de Miyazaki Hayao. De même, alors que le Cyclope arrive en Chine tel Godzilla détruisant une partie de Tôkyô dans ses multiples aventures, on peut attribuer un autre élément issu de l'oeuvre vernienne. En effet, Poséidon, pour remplacé l'oeil du Cyclope crevé par Ulysse, donne à son fils un nouvel organe dont la forme, avant qu'il ne s'engouffre dans la blessure faciale, est celle d'un céphalopode.
Nikola Tesla est également évoqué dans cette bande dessinée, non pas qu'il ait été cité dans Vingt mille lieues sous les mers, il n'était encore qu'un adolescent à l'époque de la composition du roman, mais on peut éventuellement en trouver une légère trace dans Le château des Carpathes. Dans L'Attaque du Cyclope, le capitaine Nemo aurait bénéficié de ses connaissances lors de la construction de son sous-marin, mais cela est quelque peu en contradiction avec le déroulement des évènements, qu'ils soient réels ou fictifs. Mais comme dans toutes les légendes, les approximations, voire les paradoxes temporels sont parmi les éléments fondateurs des mythes.

L'île mystérieuse est également mise en scène puisque c'est le lieu où le capitaine Nemo vit en ermite après être devenu immortel, d'où sa présence encore dans cette histoire en ce XXIIe siècle. Varuna, une incarnation indienne de Poséidon qu'il vénère, lui demandera de défendre la Chine attaqué par un monstre – qui n'est autre que Polyphème – envoyé par les Anglais. Le dieu de la mer semble s'amuser de sa première erreur sur son fils, si erreur il y eut vraiment... Le capitaine s'exécutera, d'autant plus qu'il voue une haine immense aux anglais de par son passé, celui-ci étant évoqué dans ce roman graphique avec respect par rapport au récit qu'en fit le capitaine peu avant de mourir dans L'île mystérieuse.

Parmi quelques autres références que l'on pourrait interpréter très librement, le visage du cyclope dessiné par Yannick Sellier rappelle, dans le sens où l'oeil couvre la plus grande partie du visage (mais pas autant que le père d'un certain Kitaro), et sans le signe de la main, l'étrange masque d'Ami du manga de Urasawa Naoki, 20th Century Boys. Ses ongles griffes peuvent également évoquer ceux des vampires chinois, les jiangshi. Mais c'était avant tout une création personnelle. Yannick Sellier, qui dans cet ouvrage à beaucoup puisé également dans l'architecture et l'urbanisme de Pékin, décrit sur le site du collectif ce choix de représentation du visage pour cet être, victime plus que monstre : Un grand oeil noir, une corne en forme de chapeau de clown, des tâches de rousseurs et des formes plutôt rondes donnent au Cyclope un aspect de poupon. Je n'ai pas voulu faire du Cyclope un monstre volontaire mais plutôt un égaré malhabile, oscillant entre vengeance, nonchalance et souhait de communiquer avec les petits êtres fragiles qui l'entourent. L'artiste dessine à la palette graphique sur le logiciel photoshop, traçant ses traits en s'inspirant de certaines techniques de la gravure, et usant du noir et blanc en ce sens. Les atmosphères lumineuses ou sombres font ainsi échos dans ce contexte aux gravures originales des romans de Jules Verne, faisant encore dans la mise en scène de nombreuses références à de multiples oeuvres.

Lors des ''tribulations'' de ce Cyclope à Pékin, être issu du passé, au milieu d'une agglomération moderne signifiant un Occident vieillissant et un Orient en pleine effervescence, on peut concevoir encore quelques interprétations, l'oeil du Cyclope pouvant représenter la vision unique de l'Occident sur le monde dans sa perception de celui-ci depuis de nombreux siècles, de même que Mao 2.0, le dictateur génétiquement ressuscité, peut être vu comme un pendant alternatif, imposant l'hégémonie chinoise au monde et une histoire sous contrôle... Ce roman graphique qui se présente ainsi comme un conte reliant mythologie et anticipation géopolitique, propose de fait plusieurs lectures de son contenu, dont celle passant par le héros vernien, lui-même ayant fait l'objet de diverses interprétations...


BO du livre

Une composition musicale signée par Guillem Pey accompagne ce livre, mais dirons-nous de manière indirecte, puisque uniquement disponible sur le site officiel du Collectif Territorey. Cela souligne tout de même l'élasticité dans la simplicité des moyens de production du Collectif mis en place depuis 2007 autour du site internet de celui-ci. Cette bande originale, telle celle d'un film, offre ainsi un complément intéressant car elle prolonge en quelque sorte la lecture, et permet d'ajouter une couleur musicale à cette histoire. Les divers thèmes empruntent entre autres à la musique répétitive et électroacoustique, et se mêlent agréablement à l'ambiance visuelle et scénaristique du roman graphique. Le capitaine Nemo a droit lui aussi à son thème dont la saturation de fin pourrait, si l'on se prête à cette lecture, évoquer les vibrations sonores de l'orgue au coeur du Nautilus...

Compositions :

Je m'appelle Personne (Thème d'Ulysse)
La Longue Marche
L'Attaque du Cyclope (Thème principal)
Massacre à l'Olympe
Mobilis in Mobile (Thème du Capitaine Nemo)
Pékin est en ruine
Polyphème le Cyclope (Thème du Cyclope)
Pub Cola-Coco
Sur l'île mystérieuse
Tian Xia partie 1 (Thème de Mao 2.0)
Tian Xia partie 2 (Thème de Mao 2.0)
Ulysse et le Cyclope (Scénette satyrique d'Ulysse & le Cyclope inspirée d'Ovide et d'Euripide)

Jacques Romero, 07/2011

Images de la galerie : planches issues de l'album © Rémi Teulière, Yannick Sellier / Collectif Territorey


Galerie

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