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Trade Winds - Mobilis in Mobili (Natasha Barrett, 2006)


Trade Winds - Mobilis in Mobili (Natasha Barrett, 2006)
titre original :Trade Winds - Mobilis in Mobili
type :musique, 52 minutes
année :2006
pays :Norvège
compositeur :Natasha Barrett
producteur :NoTAM, Norsk Kulturråd, Norsk Norsk Komponistforening
production :Aurora (Oslo)
site web :http://www.natashabarrett.org/


A propos de cette œuvre

Pendant certaines accalmies de la mer et du vent, je crus entendre plusieurs fois des sons vagues, une sorte d’harmonie fugitive produite par des accords lointains... Quelques instants après, huit solides gaillards, le visage voilé, apparaissaient silencieusement, et nous entraînaient dans leur formidable machine... l’obscurité se fit subitement, mais une obscurité absolue. Le plafond lumineux s’éteignit, et si rapidement, que mes yeux en éprouvèrent une impression douloureuse... un glissement se fit entendre. On eût dit que des panneaux se manœuvraient sur les flancs du Nautilus. Soudain, le jour se fit de chaque côté du salon, à travers deux ouvertures oblongues... Quel spectacle ! Quelle plume le pourrait décrire ! Qui saurait peindre les effets de la lumière à travers ces nappes transparentes, et la douceur de ses dégradations successives jusqu'aux couchés inférieures et supérieures de l'Océan ! - Extraits des chapitres 7, 8 et 14 de la première partie du texte de Jules Verne mis en relief dans cette création.

L'œuvre musicale électroacoustique Trade Winds (album créé entre 2004 et 2006) est composée d'une pièce ayant pour titre Mobilis in Mobili (9 minutes, 2006). Cette dernière, plongée au coeur de cet ouvrage océanique, s'inspire pleinement du chapitre 8 éponyme issu du roman Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne. La compositrice anglaise Natasha Barrett nous immerge ainsi dans les eaux écoulées de sa partition acousmatique, entre les embruns des légendes des milieux aquatiques et les évocations des explorations scientifiques de la mer. Parmi divers éléments se mêlant les uns les autres, cela dans une suite sonore où l'espace déploie sa résonance particulière, elle expose nombre d'images auditives provenant de la surface, mais aussi des fonds maritimes d'où l'orgue du capitaine Nemo, émergeant des flots de flux d'ondes, émettra également quelques réflexions. Ces dernières de par leur nature rappellent par ailleurs certaines compositions d'Olivier Messiaen telle L'Ascension. Elles s'imposent de même avec une certaine puissance par rapport à l'ensemble, nous donnant l'impression, au-delà de l'air s'écoulant de l'instrument, de pénétrer en un lieu à la présence mystique telle une église sous-marine. L'air, le souffle, c'est aussi ce qui est suggéré dans le titre même de l'ouvrage, Trade Winds désignant en anglais les vents alizés.

L'art de Natasha Barrett – artiste que l'on peut qualifier de designer acousticienne – s'inscrit dans le mouvement de la recherche musicale au sein des éléments sonores, ainsi que des espaces qui les y accueillent, eux-mêmes pouvant être parfois de par leur architecture une composante de l'oeuvre (comme peuvent l'être certaines créations de Michel Risse dont le décor peut devenir parfois même l'instrument). Entre autres éléments parmi les craquements du bois d'un navire, les cris des mouettes, ou encore le bruit des vagues et des flots telle la mer respirant, la compositrice a utilisé pour Mobilis in Mobili des extraits de chants de marins interprétés par l'enthousiasmante formation norvégienne Storm Weather Shanty Choir. Elle a plus précisément sélectionné le chant folklorique South Australia issu de leur album Off to sea once more (2002). Cette composition traditionnelle, maintes fois interprétée ou adaptée, a notamment connu une version fort populaire au travers du groupe irlandais The Pogues, celle-ci figurant sur leur album If I Should Fall From Grace With God (1988).
Natasha Barrett a de même inclus dans son oeuvre Trade Winds l'enregistrement d'un texte énoncé par Jon Warhuus, retraité ayant été capitaine à la barre du voilier norvégien Dyrafjeld pour lequel il oeuvre encore. Par ses quelques propos, le marin évoque l'un de ses voyages à son bord, en 1972, lors d'une tempête rencontrée dans les eaux des îles Aléoutiennes. Cette évocation est traduite par Gaëlle Lemasson sur le site electrocd.com. Le navire – que l'on a pu apercevoir dans les eaux de Brest en 2008 – fut renommé Anna Kristina en 1981 suite à sa grande restauration, cela bien après avoir pris la mer pour la première fois en 1889 sous le nom de Dyrafjeld, patronyme dont il est à nouveau affublé depuis sa plus récente restauration en 2002-2004. Natasha Barrett a par ailleurs enregistré sur ce magnifique voilier une partie des sons usitée pour sa création.

L'artiste anglaise est installée à Oslo depuis 1999. Elle oeuvre ainsi à ses compositions en travaillant avec de nombreuses personnalités norvégiennes issues du milieu de la recherche musicale ou des arts en général. L'album Trade Winds est de fait particulièrement marqué par l'intronisation de sons et d'enregistrements étant liés à ce pays, comme ceux évoqués dans le paragraphe précédent. De même, l'ouvrage sonore se conclut par la composition Nordfjorden Shore évoquant les eaux en contact avec les terres scandinaves. A cet effet, le récit vernien trouvait lui aussi sa finalité dans les eaux norvégiennes, cela au-delà des îles Lofoten où le maelström a englouti le Nautilus, comme un peu plus tard le Nautilus de Sir George Hubert Wilkins a fini son expédition par le fond dans les eaux de Bergen.

La partition sonore Mobilis in Mobili fut tout d'abord créée en 2006 puis jouée scéniquement le 8 juin de la même année dans la programmation de la 36ème édition du Festival International des Musiques et Créations Electroniques de Bourges (en 2010, la DRAC Centre a annulé cette manifestation), plus précisément lors du Concert Œuvre Ouverte 2005 « Jules Verne » ainsi nommé, dans la première partie qui sera suivie d'une seconde soirée également consacrée à Jules Verne avec diverses œuvres s'inspirant de ses romans, avec notamment Le Narval Electrique de Charles-Edouard Platel. Quelque peu retouchée, elle est une composante de l'album DVD Bouteilles de Klein (empreintes DIGITALes, 2010) où elle prend une autre dimension dans un concept terrestre plus global.

Trade Winds était une commande du NoTAM (Norsk senter for teknologi, i musikk og kunst / Réseau norvégien de Technologie, d’Acoustique et de Musique), en association avec le Norsk Kulturråd (Arts Council Norway / Conseil des Arts de la Norvège), et la Norsk Komponistforening (Norwegischer Komponistenverband / Société norvégienne des compositeurs).



Trade Winds

1 - Opening - 3'04''
2 - Submerged - 3'14''
3 - Open Ocean - 14'25''
4 - Mobilis In Mobili - 9'01''
5 - Deep Layer - 11'54''
6 - Planctonic Float - 2'19''
7 - Migration - 6'15''
8 - Nordfjorden Shore - 1'56''

Livret rédactionnel composé par Ove Evensen (interview), Curtis Roads (notes), et Natasha Barrett (notes).

Jacques Romero, 10/2010



Dans la même dimension musicale concernant la recherche sonore, une composition microtonale de Jacques Dudon et Michel Risse s'est elle aussi inspirée de quelques effluves émanant du roman Vingt mille lieues sous les mers. Parmi d'autres oeuvres de même ordre, Jules Verne inspira également le compositeur québécois Gilles Gobeil qui, en 1995, créa Nuit Cendre, pièce électroacoustique puisant sa forme et son relief dans les méandres souterrains du Voyage au centre de la Terre (Dans le silence de la nuit, Empreintes Digitales, 2001).

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