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A propos de cette œuvrePour son premier ouvrage remarqué par la profession, l'artiste vitrailliste et peintre-verrier Marina Gélineau s'est inspirée de quelques lignes écrites par Jules Verne dans Vingt mille lieues sous les mers. On peut alors s'amuser à voir son entrée, dans son propre univers artistique, faire écho à son doux prénom évoquant de par son étymologie le milieu marin. Le vitrail en technique traditionnelle monté en plomb Mobilis In Mobile auquel elle a ainsi donné forme, n'est évidemment pas une adaptation du roman, n'y même une évocation d'un chapitre particulier de celui-ci. Il se base toutefois, et essentiellement, sur la description des deux verrières se situant de part et d'autre du Nautilus : Soudain, le jour se fit de chaque côté du salon, à travers deux ouvertures oblongues. Les masses liquides apparurent vivement éclairées par les effluences électriques. Deux plaques de cristal nous séparaient de la mer. Je frémis, d'abord, à la pensée que cette fragile paroi pouvait se briser ; mais de fortes armatures de cuivre la maintenaient et lui donnaient une résistance presque infinie. (Première partie, chapitre XIV : Le fleuve noir).Si la verrière représentée par l'artiste redessine la forme oblongue et son squelette décrite par le professeur Aronnax, la transparence de l'ouverture laisse apparaître les fonds marins, sans que ceux-ci rappellent particulièrement ceux visités par le capitaine Nemo. Les diverses natures du verre, évoquant à la fois algues, fonds sableux et bleus profonds, exposent de la sorte un espace temps indéterminé dans le parcours des quelques vingt mille lieues effectués par le submersible. Dans le roman, la description des verrières du Nautilus est suivie par ce qu'elles laissent entrevoir : La mer était distinctement visible dans un rayon d'un mille autour du Nautilus. Quel spectacle ! Quelle plume le pourrait décrire ! Qui saurait peindre les effets de la lumière à travers ces nappes transparentes, et la douceur de ses dégradations successives jusqu'aux couchés inférieures et supérieures de l'Océan ! A cette dernière exclamation suggérant une interrogation, Marina Gélineau a tenté, non pas d'y répondre, mais tout simplement de créer ce que son regard a pu y percevoir au delà des mots et des concepts. Si la vue sous-marine apparaît sans désir de représenter la réalité avec exactitude ou de donner une vision originale à celle-ci, sa forme a pris vie, un peu comme le roman de Jules Verne évoquant dans certains passages des descriptions encyclopédiques. En effet, Marina Gélineau, avec cette seule oeuvre, a voulu utiliser une diversité de technique propre à son art, et ainsi assembler celles-ci en un seul regard, celui de cette verrière qui tel un oeil scrute les fonds marins. Des pièces de verres et des cristaux ont ainsi fusionné pour partager le même espace (fusing). Des émaux accompagnent également la peinture sur verre dans cette oeuvre qui est une mise en abîme, voire en abîme abyssale, celle-ci pouvant être abordée comme étant ce qu'elle représente, et de la sorte invitant l'observateur à être, un instant, l'un des occupants du Nautilus. Si pendant plusieurs siècles, l'art du vitrail fut en relation avec la lumière venue des cieux, avec Mobilis In Mobile, elle se conçoit dans un premier temps de manière fictive, de par les diverses luminosités représentées et glissant dans les courants océaniques, tel dans un ciel des profondeurs. Le capitaine Nemo n'avait-il pas également introduit au sein de ses fonds, un instrument dont les sons furent longtemps indissociables d'une certaine spiritualité céleste. La lumière solaire ou électrique joue ensuite un rôle important, comme dans tout oeuvre artistique qui se doit d'être éclairée avec une certaine maîtrise, comme ici, le verre de la surface de cet ouvrage reflétant, absorbant et renvoyant ses lumineuses opalescences au travers de la peinture. Pour ce vitrail, en 2005, pendant le centenaire de la mort de Jules Verne, alors qu'elle terminait et obtenait son CAP de vitrailliste, Marina Gélineau a reçu le 1er prix du département de la Charente, et le 1er prix de la région Poitou-Charentes du concours SEMA (Société d'Encouragment aux Métiers d'Arts). Depuis, elle a ouvert en 2007 son propre atelier, à Poitiers, et vogue au gré de ses créations... Nous vous invitons à découvrir cette artiste et ses autres ouvrages sur son site, celui-ci permettant de nous éclairer de manière agréable sur son parcours. Nous vous renvoyons également à notre note concernant l'orthographe de cette devise latine donnant son nom et son identité à cette oeuvre et à notre site : Mobilis in Mobile. Cette expression apposée sur nombre d'objets dans le submersible, et notamment décrite comme se trouvant au fronton du salon du Nautilus qui faisait, en quelque sorte, office de musée du capitaine Nemo, composait également le titre du chapitre qui vit le trio naufrageur pénétrer pour la première fois dans le sous-marin. Aussi, cette mobilité se définit pour ce vitrail de par sa géométrie même, ainsi que le paysage qui se dessine au delà de sa transparence, poussant l'observateur à donner à sa vision un élan toujours dirigé vers l'avant... Jacques Romero, 03/2010 ~ Interview ~Entretien avec Marina Gélineau, le 6 mai 20101 / Comment est née votre œuvre Mobilis in Mobile ? A savoir, était-ce une idée qui vous était évidente quand vous avez choisi ce thème ? Etait-ce au cours d’une lecture ou relecture du roman de Jules Verne ? Honnêtement je ne me rappelle plus de l’impulsion de départ. Ce roman est un livre que j’aime beaucoup et depuis de nombreuses années. J’éprouve également un fort attrait pour le monde sous-marin et ses créatures. Le thème du Nautilus était présent à mon esprit un an auparavant ce qui m’a permis de laisser mûrir l’idée. Le déclic avec le choix de cette vue de la verrière a jailli d’un coup, comme souvent dans mes créations, fruit du travail de l’inconscient. Avant de créer, je me « nourris » d’images, de films, de documents divers que j’ « avale » sans retenue afin de nourrir cet inconscient. Les images sont la plupart du temps punaisées autour de ma table de travail et certaines y restent par la suite car importantes selon moi pour mon inspiration permanente ! Concernant l’idée en elle-même, la description de cette verrière dans l’ouvrage de Jules Verne m’a toujours fascinée. En fait, c’est le passage dont je me suis toujours rappelée en pensant à ce roman. Je voulais me mettre à la place du capitaine Némo observant le paysage sous-marin dans le silence solitaire de son salon. Peut-être pour en éprouver les sensations et les faire ressentir aux spectateurs à venir. Les premières esquisses comportaient des méduses (un motif qui m’est très cher et qui se retrouvera dans d’autres vitraux) avec un paysage plus détaillé. Cette idée fut abandonnée car je ne voulais pas du côté anecdotique, je voulais laisser flotter l’imagination au gré du courant, tout en douceur, avec peut-être une certaine mélancolie. Si mon souvenir est bon, parallèlement à la concrétisation de cette idée, j’ai pour la première fois lu L'Ile Mystérieuse ce que je voulais faire depuis de nombreuses années. C’est encore l’un de mes livres préférés (toutes littératures confondues) tellement il est riche d’aventures, d’astuces scientifiques etc. Ce vitrail est né de toute cette exaltation inconsciente. Il est également bien sûr un hommage à Vingt Mille Lieues Sous Les Mers et à l’imagination qu’il fait grandir chez ses lecteurs. Comme dit plus haut, l’idée m’était venue un an auparavant, et le vitrail fut donc créé et présenté pour le concours SEMA-Jeunes en 2005 qui était l’année Jules Verne, sans l’avoir prémédité ! Ce qui m’a d’ailleurs effrayée car j’eus peur que l’on me taxe d’opportuniste alors que cette œuvre venait d’une envie profonde. Personne ne releva la coïncidence… 2 / Dans ce vitrail, j’ai l’impression que le paysage nous montre, sous l’influence de la géométrie adoptée, comme une voie à suivre ou à prendre. Peut-être vers cette présence de clarté qui se situe au plus haut de votre œuvre. Clarté que je ne saurais comment analyser. Y a-t-il un sens à cela ? Ou est-ce seulement un effet que vous vouliez apposer sur l’esthétisme de l’ensemble ? La forme de la verrière et notamment de l’armature est en fait dictée par un souci de vraisemblance en regard des armatures classiques des grandes verrières, comme expliqué sur mon site et avec pour influence le Cristal Palace de Paxton. Tout en donnant un côté esthétique cela va de soi ; et en prenant en compte les contraintes techniques liées au vitrail. En effet, ce choix me facilitait l’emplacement du réseau de plomb tout en assurant une très bonne solidité à ce grand vitrail qui pouvait ainsi se passer de vergettes de maintien. J’avais surtout envie que le spectateur se sente immergé avec un effet de perspective afin d’éviter le côté écran empêchant de « rentrer » dans l’œuvre. Tout en symbolisant la frontière entre l’intérieur du sous-marin dans lequel se trouve le spectateur, et les fonds sous-marins de l’autre coté de la baie. En ce qui concerne la clarté, elle est celle de la surface de l’eau. La lumière de la surface que l’on perçoit sous l’eau lorsque l’on ne se trouve pas trop au fond. Cela assied la composition et « aère » le paysage, permet de situer le haut du bas en conservant ainsi un repère rassurant. 3 / A propos de Jules Verne, et plus particulièrement des romans du capitaine Nemo, que vous inspirent-ils dans l’ensemble ? Vaste sujet ! Peut-être comme je disais plus haut, une certaine exaltation, le plaisir de lire des aventures incroyables avec un aspect scientifique aussi présent. Je suis très loin de les avoir tous lus mais j’ai encore pas mal de temps devant moi pour le faire. Ce qui me plait dans les romans de Jules Verne c’est de sentir qu’il est à l’origine de tant de romans d’aventures voire de science-fiction (une littérature que j’affectionne beaucoup). Il mettait noir sur blanc les premiers rêves fous de l’humanité comme d’aller sur la Lune ou au fond des océans avec des amorces d’idées révolutionnaires. Jules Verne était il me semble à l’affût des découvertes scientifiques les plus récentes. Voici une anecdote fascinante que vous connaissez sûrement : « Le second événement fut une série de trouvailles stupéfiantes inaugurées en 1873 à Logy Bay, sur l’île de Terre-Neuve – la partie la plus orientale du Canada. On y ramassa un certain nombre de spécimens frais et presque complets d’Architeuthis ; d’autres apparurent ensuite, flottant à la surface de la mer ou rejetés dans les baies et les anses de l’île. Ils permirent les premières descriptions de cette bête monstrueuse mais parfaitement inoffensive. Vers la même époque un jeune auteur parisien entendit parler de la découverte d’un calamar géant par la corvette française Alecton, au large des Canaries [en 1861]. Ayant aperçu l’animal à la surface de l’eau, le capitaine avait décidé de s’en emparer pour que les savants puissent l’étudier. Il lui tira dessus au canon et au mousquet, mais finit par renoncer, craignant que le monstre ne mette en danger son navire et son équipage. L’aventure ne fut pas perdue pour tout le monde : le jeune auteur en question s’appelait Jules Verne ! Il fit interrompre l’impression de son dernier roman pour y intégrer l’épisode palpitant de la rencontre entre le capitaine Nemo et un « calamar de dimensions colossales » à bord du Nautilus. » cf Claire NOUVIAN, « Abysses », p. 121, éd. Fayard, Paris, 2007. 4 / Dans L’Ile Mystérieuse (2ème partie, chapitre 9), l’ingénieur Cyrus Smith s’improvise maître d’un atelier de verrerie pour des besoins vitaux, à savoir la fabrication de vitres et de divers ustensiles. Jules Verne décrit par ailleurs assez en détails comment on obtient cette matière. Le verre jouera encore divers rôles sur l’île : pour exemples, ce sera avec les verres de deux montres que Cyrus Smith fera un premier feu, ou encore qu’une plaque photographique révélera la présence des pirates. Bien qu’il n’y ait pas de lien direct par rapport à votre art, Cyrus Smith présente-là, ce qui en est en partie à la base. Un tel passage pourrait-il vous inspirer encore pour Jules Verne, pour un vitrail, dans le sens qu’il fait quelque peu écho comme les verrières du Nautilus à la matière dont vous êtes passée maître? Cyrus Smith est bien le personnage capital dans ce roman, et l’ingéniosité qu’il développe tout au long de l’aventure est un régal. Le passage en question décrit avec une grande efficacité la fabrication de feuilles de verre soufflé avec la technique du soufflage en manchon répandue depuis le XIIème siècle pour fabriquer les verres pour les vitraux et les vitres. Cette technique fut redécouverte au XIXème siècle. Je ne sais si ce passage ou ce personnage pourrait m’inspirer une nouvelle création, difficile à dire. Peut-être une vision plus globale du roman… 5 / Les paysages ou les représentations animales parsèment vos travaux. Si ce n’est le submersible que l’on devine avec votre Mobilis In Mobile, la représentation de la nature est primordiale dans votre œuvre. Est-ce un désir de vous fondre en quelque sorte dans le domaine de l’Histoire Naturelle ? A la lecture de l’article d’Aurélie Taupin, il me semble, si je peux m’exprimer ainsi, avoir compris que vous auriez voulu être une collègue du professeur Aronnax, ou l’un de ses contemporains ? Qu’auriez-vous alors aimé étudier scientifiquement ? La Nature est effectivement mon sujet de prédilection et la source sous-jacente de toutes mes créations. Cela me semble une évidence car l’être humain fait partie intégrante de cette nature, un organisme vivant parmi tant d’autres, avec la faculté de pouvoir en apprécier la beauté et à chercher à l’atteindre par l’art. Dans mon travail je cherche à attirer le regard sur cette beauté inouïe et exceptionnelle, à en dégager toute l’émotion. Cela est peut-être aussi allié à une approche naturaliste qui peut paraître plus froide par sa classification, mais c’est aussi une façon capitale de comprendre cette nature et de s’en émerveiller. Cela a également un côté terrifiant car ces représentations sont ce qui nous reste à percevoir d’une nature disparue, qui disparaît pour toujours chaque jour. Il est vrai que j’ai une attirance très grande pour les sciences naturelles et l’astronomie. Des métiers que j’aurais aimé embrasser et j’essaye modestement de compléter mon maigre savoir dans ces domaines. Je trouve la période du XIXème siècle fascinante pour cela avec tous ces naturalistes qui ont accompli un travail colossal. Que n’aurais-je donné pour accompagner Darwin sur le Beagle afin de faire les dessins de ses découvertes… 6 / Au travers du verre et de ses réflexions, plusieurs de vos œuvres semblent proposer de voir ce qui se voit peu ou qui est peu visible, telles les abysses (blancs où sont représentées certaines créatures des grandes profondeurs, ou ceux à travers Mobilis in Mobile), ou dans le même milieu une vague qui, même si elle est un élément qui revient, est éphémère (évidemment on pense de suite à celle d’Hokusai – avez-vous voulu lui faire écho ? – certains de vos paysages puisent un peu également dans certaines atmosphères issues de l’Ukiyo-e), ou encore des écailles de papillons ou quelques sujets touchants à la spiritualité. Cela participe-t-il d’une certaine démarche ? Il est vrai que dans mon travail on trouve cette approche visant à utiliser comme sujet un élément naturel, une sensation de paysage, une atmosphère ; cela vient sûrement d’un cheminement assez long et inconscient. En réalité, je prends peu le temps à analyser tout cela et ce joli entretien me force à m’y attarder. Je possède un petit microscope depuis toute petite ainsi qu’une malheureuse lunette astronomique, ce goût pour le microcosme et le cosmos était présent depuis longtemps donc. Même chose pour les abysses et leurs habitants. Ce monde est plus que fascinant, les animaux tellement incroyables et tellement beaux que certains ressemblent à des bijoux de verre. Ces milieux a priori hostiles m’émeuvent profondément car ils prouvent à quel point la vie est forte. En ce qui concerne l’art japonais auquel vous faites référence, c’est une approche du monde que j’apprécie avec ravissement. Dans cet art, les éléments naturels sont considérés comme sujet primordial ; la subtilité du traitement est portée par la marque d’une émotion intense. Je suis admirative de l’efficacité et de la douceur avec lesquelles ces artistes captent les attitudes des animaux, la fraîcheur d’un paysage, une subtilité que l’on retrouve dans les grands dessins animés japonais. Ma vague ne fait pas référence à celle d’Hokusai, je n’oserais pas, même si le sujet évidemment y fait penser et même si c’est une œuvre que j’aime beaucoup. Il y a une autre œuvre qui représente une vague qui m’est très chère c’est celle de Camille Claudel en onyx verte et bronze. Elle a si diaboliquement réussi à faire ressentir la puissance du reflux de cette vague gigantesque qui va s’écraser sur les trois baigneuses de bronze. Quand on connaît la dureté de l’onyx on ne peut qu’éprouver un immense respect frissonnant en regardant cette œuvre. La vague est en effet un sujet qui me fascine et je suis convaincue que d’autres suivront. Mlle Marina Gélineau, nous vous remercions encore de nous avoir accordé si aimablement ce petit entretien. 2010-05-08 Murielle Vissault, artiste vitrailliste également, a de même rendu hommage au romancier des Voyages extraordinaires en créant l'ouvrage D'après Jules Verne. Dans ce vitrail suspendu, elle a reproduit, en s'inspirant des dessins originaux, quatre des romans les plus populaires de l'auteur : 5 semaines en ballon, De la Terre à la Lune, Voyage au centre de la Terre, et Vingt mille lieues sous les mers. Tout en étant très distinctes et différentes dans leurs créations, on notera également que Marina Gélineau partage quelque inspiration avec l'artiste néerlandaise Annemarie Petri - que nous avons évoqué au travers de son ouvrage Atlantis - telle l'influence de peintres de la Renaissance comme Bosch, ou une certaine approche de l'Histoire Naturelle dans la représentation animale. Galerie![]() ![]() ![]()
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