BD

Le Mystère Nemo 1 - L'île (Mathieu Gabella, Kenny Ruido, Maz!, 2010)


Le Mystère Nemo 1 - L'île (Mathieu Gabella, Kenny Ruido, Maz!, 2010)
titre original :Le Mystère Nemo 1 - L'île
type :BD, 48 pages
année :2010
pays :France
scénario / adaptation :Mathieu Gabella
dessins :Kenny Ruido, Maz!
éditions :Delcourt
collection :Terres de légendes


A propos de cette œuvre

Parmi les derniers projets d'adaptations, il en est certains désirant offrir quelques révélations originales sur le passé indien du capitaine Nemo, celui-ci étant absent dans Vingt mille lieues sous les mers, et relativement peu développé dans L'île mystérieuse. C'est ce que propose également l'ouvrage de Mathieu Gabella qui, en se reposant sur les quelques éléments donnés par le capitaine peu avant sa mort, brode une nouvelle mythologie du personnage. De même, tout comme désirait le faire Christophe Gans avec Nemo, son projet resté hélas inachevé, la naissance du Nautilus nous sera révélée bien plus qu'elle ne le fut originellement.

Pour marquer la sortie de cet album en librairie à partir du 6 janvier 2010, son dessinateur Kenny Ruido sera présent, du 28 au 31 janvier 2010, au 37ème Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême.

Blog artistique de Mathieu Gabella
Blog artistique de Kenny Ruido
Blog artistique de Maz

Jacques Romero, 12/2009


~ Interview ~

Entretien avec Mathieu Gabella, décembre 2009

0 / La forme libre de cette adaptation tend à penser que ce n'est pas une commande de l'éditeur, comme c'est souvent le cas pour une adaptation classique. De ce fait, si ce choix vous est personnel, quel intérêt portez-vous à l'oeuvre de Jules Verne, et à celles-ci en particulier mettant en scène le capitaine Nemo ?

C'est pourtant bien une commande de la part de Delcourt. Mais je n'accepte pas de commande si je ne peux pas m'y exprimer, trouver une marge de manœuvre. La trilogie devait être publiée à l'origine dans la collection Ex-Libris, qui vise un public scolaire, avec une nécessité de fidélité. Or, quand j'ai lu le livre, j'y ai vu énormément de choses fascinantes, mais aussi un certain nombre de problèmes pour adapter le récit fidèlement. Outre les digressions scientifiques, intéressantes mais impossibles à transposer dans un récit court, il y avait, pour moi, des problèmes de cohérence, des grosses facilités dans l'intrigue (notamment le dénouement, incroyablement improbable, même pour une fiction, avec l'île qui explose et le bateau d'un lord attendu depuis vingt ans qui arrive à ce moment précis...). Ces problèmes, surement dus au processus d'écriture de Jules Verne (si je ne m'abuse, il écrivait au jour le jour pour une publication dans un journal), un lecteur d'aujourd'hui ne les pardonnerait pas à un auteur [NDLR : Le roman L'île mystérieuse fut publié pour la première fois sous la forme d'un feuilleton dans le bimensuel Le magasin d'éducation et de récréation, du n°217 du 1er janvier 1874 au n°264 du 15 décembre 1875]. Je devais donc m'en affranchir, et cela libérait, en plus, de l'espace pour mes propres développements. Or, il y a aussi, évidemment, plein d'éléments extraordinaires dans le roman de Jules Verne (sinon je n'en aurais pas fait l'adaptation), et un certain nombre de très bonnes pistes laissées en plan, très frustrantes (comme les origines de Nemo, à peine dévoilées). Tout cela me permettait, mais me forçait aussi, à livrer une adaptation très libre, une sorte de puzzle réassemblé de tout ce que Verne avait inventé. Nous sommes donc sortis d'Ex-Libris, et, même si c'est une adaptation et une commande, je n'hésite pas à dire que c'est aussi une oeuvre d'auteur. Et j'en suis très fier.

1 / Sans rien nous dévoiler du Mystère de votre scénario, pourriez-vous nous dire quelques mots sur cette adaptation, sur les libertés que vous prenez, et si d'autres adaptations de Vingt mille lieues sous les mers et L'île mystérieuse vous ont également inspiré, ou du moins ont participé à votre vision de cet univers ?

Tout ce que j'ai vu m'a plutôt permis d'éviter les redites, ou le ridicule comme les monstres préhistoriques sur l'île, aperçus dans un téléfilm récent [NDLR : sans doute la production réalisée en 2005 par Russell Mulcahy]. J'ai essayé de trouver des pistes dans ces adaptations, mais ce ne fut pas le cas. C'est plutôt en étudiant des choses en parallèle, comme des analyses des romans de Jules Verne, ou l'histoire des sciences de l'époque, que j'ai trouvé des idées. L'histoire de l'Inde m'a aussi apporté un ingrédient très intéressant : les Thugs... [NDLR : Jules Verne fera notamment référence à ces étrangleurs, adorateurs de la déesse Kâli, dans ses romans Le tour du monde en 80 jours et La machine à vapeur]

2 / De La Chute avec le moyen-âge des Cathares, à La Licorne et sa renaissance faisant revivre comme le premier ouvrage cité divers personnages historiques (Ambroise Paré, Nostradamus, Leonardo da Vinci), en passant par Northmen et ses vikings, Les mesures du temps s'écoulant au 19ème siècle, et maintenant cette adaptation d'un grand classique de la littérature de la même époque, votre oeuvre semble souvent évoquer en les liant : dieu, la science, l'homme, le passé et le fantastique. Bien que les premiers soient présents dans le roman de Verne, le dernier y sera-t-il autant développé que sur vos travaux précités ?

Oui, sous la forme d'un genre bien particulier de fantastique : la science fiction. Celle qui était chère à Jules Verne, d'ailleurs : nous avons essayé d'établir un état général du savoir scientifique de l'époque, puis de l'extrapoler. Il y avait un piège à éviter : celui du steampunk, c'est à dire la machine à vapeur surpuissante. Tout le monde l'a déjà fait avec l'univers vernien. Je voulais trouver une autre voie, ce qui fut assez facile : la technologie du sous-marin de Nemo est basée sur l'électricité. C'est donc à l'électricité que je me suis intéressé, notamment à l'électromagnétisme, puisqu'il permet de propulser, de soulever, etc... bref, il donne lieu à des phénomènes spectaculaires, et il est totalement cohérent avec l'univers de Nemo. L'électricité du 19e siècle, c'est aussi un look, un design de machines bien particulier. Kenny et Maz, le dessinateur et le coloriste (aussi designer et décorateur) ont exploité ce potentiel, l'ont développé pour obtenir de fantastiques machines électriques. Ils ont trouvé un nom tout à fait approprié à cet univers: le teslapunk. J'aime beaucoup.

3 / Vous avez déjà fait acte d'adaptation en reprenant La guerre des boutons de Louis Pergaud, mais pour un lectorat un peu plus jeune, et en restant assez fidèle à l'original, si ce n'est peut-être avec une gouaille un peu plus actuelle. Avez-vous procédé de la même façon pour transposé le texte original de Jules Verne ? Ou celui-ci demandait-il tout de même une autre approche, de par notamment les libertés que vous avez introduites sur cette île mystérieuse ?

J'ai pris beaucoup plus de libertés avec L'île mystérieuse. Dans La Guerre des Boutons, on m'avait clairement assigné la fidélité comme une contrainte importante, et je n'ai pas touché à la structure de l'histoire, de toute façon elle ne le nécessitait pas. Dans L'île mystérieuse, j'ai gardé beaucoup d'évènements et d'idées, mais je les ai organisés, structurés, motivés d'une autre manière pour donner une plus grande cohérence au récit. Les péripéties s'enchaînaient sans trop de raison dans la version originale, j'ai réellement voulu que tout soit lié, pour respecter une certaine forme moderne de dramaturgie, créer une progression dramatique. J'ai aussi pris des libertés avec les héros, leurs caractères, et, de ce fait, j'ai pu insérer beaucoup plus d'humour (qui ne fera peut-être rire que moi) dans les dialogues. Les personnages de Verne étaient des parangons de vertus, et certains passages sur Nab frôlaient le racisme, même si Verne était à ce propos très libéral pour son temps... j'ai voulu en faire une équipe aussi compétente, complémentaire, mais plus légère, plus drôle, très positive face à la noirceur de l'intrigue, à l'univers très violent de Nemo. Je n'arrivais pas à aimer les héros de Verne, ils étaient trop lisses, je voulais qu'on s'attache réellement aux personnages de l'adaptation.

4 / La série La Licorne dont vous êtes l'auteur comportera au final 4 tomes. En sera-t-il de même pour Le Mystère Nemo ? Il me semble avoir lu que l'histoire se déroulera sur 3 volumes. Vos oeuvres, jusqu'à présent, sont toutes des séries relativement courtes. Est-ce une volonté de votre part de produire des scénarios plus condensés dans leur développement ?

Le Mystère Nemo se fera bien en trois tomes [NDLR : à cet égard, la première publication en volume du roman L'île mystérieuse fut publiée en trois parties]. Je fais souvent des séries courtes parce que j'aime avoir la fin d'une histoire. Beaucoup de séries s'ouvrent sur des promesses qu'on fait aux lecteurs, promesses tenues au bout de 20 tomes, parfois décevantes, parfois même non tenues, tout simplement... J'ai bien des envies de séries au long cours, fonctionnant avec des personnages récurrents, sur des aventures courtes. Simplement, tous les projets qui précédaient ne se construisaient pas de cette manière, je ne pouvais pas reporter la fin indéfiniment, il fallait qu'elle arrive assez vite.

5 / Les dessins et les couleurs de l'album viennent d'Espagne. C'est la première fois que vous collaborez avec des artistes au delà de l'hexagone ?

Non, j'ai collaboré avec un Québécois, mais cela s'est mal fini puisque le projet a été abandonné au bout de vingt pages. Cela se passe très bien avec mes deux compères espagnols, et je travaille aussi actuellement avec Paolo Martinello, un dessinateur italien, très talentueux aussi [ce projet inspiré de l'univers des contes des Mille et une nuits a pour titre 3 Souhaits].

6 / Qu'est-ce qui vous a donné l'envie de partager cette aventure avec Kenny Ruido (Le chasseur d'éclairs et Barcelona chez Paquet, Deux épées chez Soleil) l'illustrateur, et Maz (Mazi) le coloriste, deux dessinateurs encore assez peu connu du public français ? Et particulièrement pour cette adaptation vernienne ?

La vérité, c'est que l'éditeur nous a mis en contact ! Ils ont été enthousiasmés par ma version de l'histoire, ils aimaient l'univers vernien, j'ai été enthousiasmé par leur dessin, leurs designs de personnages et de machines verniennes !

7 / Vous êtes plutôt comics, Alan Moore étant votre référence en matière d'écriture dans la BD. Le Mystère Nemo a quant à lui une esthétique influencée quelque peu par le manga dont Kenny - sa jeunesse a été marquée entre autre par la BD japonaise - a assimilé certaines formes dans une partie de sa fibre graphique (il adore Otomo et Kishiro). Toutefois, les premières esquisses de Kenny étaient trop marquées par ce style qui pour vous dénotait un peu envers l'univers que vous vouliez présenter. Mais néanmoins, l'influence est encore un peu présente. Était-ce important pour votre histoire, qu'elle soit illustrée par un style plutôt comics, qui au vu des quelques extraits impose agréablement sa matière ?

Je ne reprochais pas à Kenny la dimension manga de son dessin, mais plutôt l'aspect jeunesse [NDLR : il est vrai que les premières esquisses de Kenny étaient trop simplement inspirées du style manga, celui employé plus particulièrement au travers de nombreux shônen]. Je voulais que les personnages soient plus réalistes pour nous faire entrer dans un univers plus adulte, plus sombre. J'ai besoin d'un aspect truculent, léger parce que les personnages sont comme ça. Mais j'avais besoin d'un équilibre entre cet aspect léger, et le revers de la médaille, l'aspect sombre de cette histoire, personnalisé par Nemo. Il fallait donc que les héros soient sympathiques, surtout au début, mais aussi crédibles dans des situations dramatiques, et elles sont multiples, dans cette histoire...

8 / Sur une planche, on peut voir que votre capitaine Nemo voue un culte à la déesse Kâli comme le Nemo de Moore. Est-ce un clin d'oeil ou un simple hasard ?

Simple hasard. C'est vrai, j'ai une profonde admiration pour Moore, et notamment pour La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, mais je me suis bien gardé de reprendre ses idées. En fait, si Kâli apparaît dans son oeuvre, ça ne m'a pas marqué. Et dans notre version de L'île mystérieuse, cette apparition était complètement justifiée, et très importante pour le personnage du capitaine...

9 / Et Clint Eastwood dans tout ça ? Dans le contexte du début de cette aventure, il pourrait d'ailleurs s'agir de Blondin (Le bon, la brute et le truand). Est-ce Kenny qui avait envie de faire apparaitre ce ''cowboy'' ressemblant au personnage de Leone ? C'est amusant car Emem s'était inspiré entre autre de l'acteur pour dessiner un personnage de votre trilogie d'anticipation Idoles.

Coïncidence totale entre les deux ! Kenny avait envie de faire un clin d'oeil, j'ai accepté, c'était une bonne idée. Mais ce personnage, hormis le fait qu'il ressemble à Eastwood, n'est pas là gratuitement non plus...

10 / Le tome 2, où l'on devrait voir apparaître Ayrton, est déjà en cours de finition. Une date de sortie est-elle déjà émise ?

En cours de finition, on ne peut pas dire ça. On en est aux deux tiers. Pas de date de sortie pour l'instant, mais le livre pourrait bien être fini en début d'année prochaine, permettant ainsi une parution assez rapide du tome 2 !

Mr Mathieu Gabella, nous vous remercions encore de nous avoir aimablement accordé ce petit entretien.

2009-12-15


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