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Gake no Ue no Ponyo (Miyazaki Hayao, 2008)


Gake no Ue no Ponyo (Miyazaki Hayao, 2008)
titre original :Gake no Ue no Ponyo
titre français :Ponyo sur la falaise
type :long-métrage d'animation
année :2008
pays :Japon
réalisation :Miyazaki Hayao
scénario / adaptation :Miyazaki Hayao
musiques :Hisaishi Joe
direction artistique :Kondô Katsuya, Yoshida Noboru
interprètes :Doi Hiroki, Nara Yuria, Yamagushi Tomoko, Nagashima Kazushige, Tokoro George
producteur :Suzuki Toshio, Hoshino Koji
studio :Studio Ghibli


A propos de cette œuvre

Cette œuvre n’a pas de rapport direct avec Vingt mille lieues sous les mers, mais nous nous permettons tout de même d'évoquer ici, pour le personnage de Fujimoto, quelque affinité avec le capitaine Nemo. Mais avant de décrire celui-ci en fin de page, voici une courte évocation de ce long-métrage.

Gake no Ue no Ponyo

Il y a de cela trente ans, Miyazaki Hayao réalisait son premier long-métrage : Lupin III – Le château de Cagliostro (1979). Avec Gake no Ue no Ponyo / Ponyo sur la falaise (2008), il signe là son dixième ouvrage à la tête d’une telle entreprise artistique. Ce long-métrage est considéré pour nombre d'observateurs comme un retour aux sources du studio Ghibli, quand Miyazaki mit en scène Mon voisin Totoro en 1988. Tout d’abord, en premier lieu, parce sa lecture s’offre aux plus petits des spectateurs, au contraire de ses œuvres suivantes comme Porco Rosso ou Princesse Mononoke, dont les sujets graves et leurs traitements étaient plus difficilement compréhensibles du plus jeune public. Ensuite, de par son atmosphère légère, qui comme pour Totoro ou Kiki, la petite sorcière qui le suivit de près, nous donne la sensation que notre corps respire tout simplement plus facilement. Cet ouvrage, certes d’apparence moins complexe que les précédents, offre toutefois une multitude d’aspects donnant lieu à diverses réflexions permettant, dans le même temps où l’on découvre les protagonistes, de deviner au travers de certains détails, un peu de leur auteur. On trouvera notamment quelques petits clins d’œil direct à Mon voisin Totoro, la mère de Sôsuke fredonnant une chanson traditionnelle que Miyazaki remit au goût du jour dans son premier ouvrage pour Ghibli et qui, depuis cette nouvelle naissance, est chantée dans les écoles de l'archipel. De même, les pouvoirs de Ponyo côtoient ceux d’un Totoro, faisant par exemple grandir le bateau - jouet de Sôsuke pour la première, et des graines pour le second.

Contrairement à ses dernières réalisations où le fantastique et la magie s’imposaient avec force (Princesse Mononoke, Le voyage de Chihiro, Le château ambulant), Miyazaki présente avec Ponyo un monde physiquement proche de celui que la plupart des Japonais connaissent, même s'il y insère toujours des éléments surnaturels qui s'immiscent justement dans ce film, comme ceux de Mon voisin Totoro. Il y adopte de même comme dans ce dernier, et avec une candeur apparente de ton, cette sensibilité de l’enfance face aux éléments naturelles. Une certaine simplicité en ressort, comme celle employée graphiquement dans le générique dessiné dans un style naïf, enfantin, rappelant quelque peu un autre générique, celui de la célèbre série de marionnettes produite par la NHK, la fameuse Hyokkori Hyôtan Jima (1964-69). Dans cette dernière justement, les protagonistes devenaient des insulaires. C’est un peu ce qui arrivera dans Ponyo sur la falaise qui, outre la tempête qui provoquera une inondation, séparant pendant quelque temps le lieu de vie de Sôsuke du reste du Japon, fera également des protagonistes de Ponyo, des insulaires dans le temps, le Dévonien refaisant surface lors de la submersion, cela au travers notamment de l'environnement et des créatures sous-marines apparaissant alors. On peut remarquer par ailleurs la référence à l’unique continent de la Pangée dans le laboratoire du père de Ponyo, le désir de celui-ci étant, par le biais de son savoir et de certaines mixtures, de redonner à la Terre son état originel. La mutation de Ponyo fait également référence à cette période où des poissons ont progressivement évolué, devenant amphibiens, pour ensuite donner naissance aux reptiles. Une autre référence liée à la Pangée est peut-être inscrite justement sur la porte du laboratoire de Fujimoto. En effet, on peut y lire la date de 1907. Celle-ci pourrait-elle faire écho aux travaux de William Henry Pickering ? En effet, celui-ci émit cette année-là, soit quelque temps avant Alfred Wegener, l'hypothèse de la dérive des continents, et donc d'un supposé unique continent sur la Terre à l'époque du dévonien. Il fut également un grand spécialiste de notre satellite naturel qu'il pensait être un morceau de notre Terre. Mais ce n'est qu'une supposition peu éclairée. La Lune sera par ailleurs liée aux bouleversements dus aux effets de la mystérieuse substance élaborée par Fujimoto.
L’inondation renvoie également au passé de Miyazaki, lorsqu’il dirigeait l’animation de Panda Kopanda Ame Furi Saakasu no Maki / Panda et petit panda, le cirque sous la pluie réalisé par son ami Takahata Isao, en 1973, et dont on peut voir bien évidemment en Papa Panda, l‘ancêtre de Totoro. En effet, lors de cette seconde aventure de Mimiko, une inondation a lieu, et l’on peut y noter quelques accointances graphiques avec celle de Ponyo sur la falaise. Miyazaki nous renvoie également quelque peu à l’univers de son ancien collaborateur Kondô Yoshifumi (1950-1998, Le Tombeau des Lucioles, Souvenirs goutte à goutte, Si tu tends l‘oreille), qui avait à cet égard œuvré sur la scène d’inondation du second opus de Panda Kopanda. Parmi ses dessins personnels, Kondô avait créé un univers particulier touchant à l’enfance, représentant nombre de petites scènes quotidiennes, et dont le résultat visuel donnait le sentiment d’y voir une forme graphique de haïkus. Il accompagnait par ailleurs ses dessins de courts textes poétiques. Justement, les enfants représentés dans Ponyo sur la falaise, de même que leur petit univers, s’apparente à ceux créés par Kondô Yoshifumi dont on retrouve à cet égard l'adoption des tons pastels. Ils s‘apparentent également à l’univers de Mon voisin Totoro, les deux personnages principaux, Sôsuke et Ponyo, ayant quelques affinités physiques avec Kanta et Mei. A cet égard, si certains détails de chaque film de Miyazaki renvoient à ses précédents travaux, avec Ponyo sur la falaise, le réalisateur semble également communiquer avec lui-même. Peut-être avait-il besoin de se retrouver tout simplement au travers de cette œuvre qu’il a voulu légère, à l‘image des quelques court-métrages qu‘il a réalisé depuis le début du 21ème siècle pour le Musée Ghibli, et dont on peut suggérer qu‘ils ont été d‘une certaine influence, voire un laboratoire tel celui de Fujimoto, sur la création de ce film. De la sorte, il est comme le jeune Sôsuke qui, depuis sa maison envoie des signaux en morse à son père (avec un projecteur morse de style Feu de Scott), dont le bateau passe près des côtes. Ainsi il se lance à lui-même ses petits messages, réfléchissant le passé, comme celui de la scène ou Marco Pagot, dans Porco Rosso, communique de la sorte avec les pirates de l’air. Bien que sensiblement différent, le milieu marin fut pour lui également un moyen de retrouver certaines écumes de sa toute première œuvre qu'il réalisa en tant que metteur en scène, à savoir la série Conan, le fils du futur (1978, Nippon Animation).

Parmi d’autres reflets envers ses travaux, Miyazaki reprend certains autres thèmes qu’il a déjà utilisés. Ainsi, si dans Le voyage de Chihiro, la jeune héroïne se devait de préserver son nom pour se protéger, au détriment d’un nouveau patronyme que la sorcière Yubaba voulait lui octroyer, la petite Brünnhilde décidera d’adopter le nom de Ponyo que Sôsuke lui donnera. Elle puisera dans cette nouvelle identité, la force nécessaire pour devenir du petit poisson qu’elle était, une petite fille humaine. C’était également le cas pour Porco Rosso, et au-delà de celui-ci de nombreux personnages de Miyazaki se transformant ou évoluant d’une façon ou d’une autre au cours de l’aventure.

En ce qui concerne Fujimoto, le père de Brünnhilde

Avec le personnage de Fujimoto, on peut supposer avec un peu de légèreté, que Miyazaki semble revenir à certaines idées verniennes qu’il avait projetées d’élaborer avec le projet Kaitei Sekai Isshû, il y a quatre décennies, sans que cela se fit. Ainsi, concevant son dixième long-métrage autour du personnage de Ponyo, il définit progressivement l’entourage du petit poisson, et lui prête pour père, un être humain auquel il attribuera un caractère sensiblement proche de celui du capitaine Nemo. Même si le personnage de Fujimoto, homme devenu le sorcier des mers, semble physiquement éloigné de l’image que l’on peut avoir du héros de Jules Verne, Miyazaki lui octroie néanmoins une aura qui lui confère un statut similaire à celui du maître du Nautilus. Ainsi, tous deux sont humains malgré leur inhumanité, et tous deux se sont éloignés de l’humanité à cause du dégoût qu’elle provoque en eux : l'un ne supportant plus la société humaine, et l'autre surtout répugné par ce que cette dernière fait subir à la nature. Ils vivent également tous deux au sein des océans, et ont pour moyen de mouvance, un submersible. Si le sous-marin du capitaine Nemo s’apparentait de par son nom au Nautile (céphalopode), le bâtiment de Fujimoto emprunte un peu de sa forme à quelque animal marin de l'époque du Jurassique, quatre grandes nageoires mécaniques lui permettant de se déplacer tel un Plésiosaure. De même Fujimoto, refusant que son enfant devienne une humaine, et se préparant à jeter sa colère sur le monde, est comme le Nemo de Vingt mille lieues sous les mers retenant prisonniers les trois naufragés, et haïssant toujours plus l’humanité. Puis comme dans L’île mystérieuse, tel le capitaine comprenant la nature de ses hôtes et décidant de les aider, Fujimoto admettra l’inutilité de sa colère face à la pollution humaine, et délivrera Ponyo de la condition dans laquelle il voulait la préserver. A cet effet, la bulle sous la mer est en quelque sorte comme l'île mystérieuse accueillant les naufragés. De plus, l‘épouse de Fujimoto, la mère de la mer représentant la nature, suggère par sa façon d'agir, qu’elle peut remédier à sauver l’environnement perturbé par les hommes, sans passer par la vengeance destructrice que voulu assener son époux. Son statut de divinité semble plus proche de la vision des contes occidentaux, que de ceux issus du folklore japonais, ce qui somme toute s’explique facilement avec la référence à laquelle ce film fait allusion, à savoir La petite sirène de Hans Christian Andersen. En créant cette histoire d'amour autour de deux petits êtres étant éloignés dans leurs origines, que tout sépare, même leur milieu de vie, c'est pour Miyazaki peut-être, une façon de souligner que nous avons tous, nous humains de tous les continents, la même origine : la mer, que nous devons chérir.

Entre mer et terre, entre mères (Gran Mamare / Lisa) et pères (Fujimoto / Kôichi), entre Ponyo et Sôsuke, entre jeunesse et vieillesse, entre pouvoir fantastique et réalité quotidienne, entre demi-rêve et semi-réalité, entre les images alors projetées et celles déjà passées auxquelles elles semblent se référer, Miyazaki joue encore a verser des uns aux autres, et vice versa, un peu de ce vivifiant élixir de lumière, de couleurs, de formes et de sons, de son ouvrage à nos vies.

Jacques Romero, 06/2009

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