BD

Pipi-chan / ピピちゃん (Tezuka Osamu, 1951)


Pipi-chan / ピピちゃん (Tezuka Osamu, 1951)
titre original :Pipi-chan / ピピちゃん
type :manga
année :1951
pays :Japon
scénario / adaptation :Tezuka Osamu
dessins :Tezuka Osamu
éditions :Shueisha
collection :Omoshiro Book (décembre 1951 à mai 1953)
site web :http://www.tezuka.co.jp/


L'histoire

Pour lutter contre la surpopulation humaine, les terres étant de plus en plus occupées par l’homme, le docteur Lehman a mis au point une expérience qui consiste à transformer un être humain en sirène. Ainsi, les eaux pourraient être un nouvel espace de vie pour une partie de l’humanité. Le scientifique met alors en application le fruit de ses recherches sur son tout jeune fils. Sa physiologie modifiée, et s’habituant à son nouvel élément, le jeune enfant part en haute mer. Son absence sera préjudiciable pour ses parents, ceux-ci étant accusés d’avoir assassiné leur fils. Celui-ci, encore très jeune, rencontre une tortue adulte qui le prend sous sa coupe, et l’élève avec Gabo, son enfant, avec qui il vivra de nombreuses aventures.
Parmi celles-ci, Pipi-chan sera confronté au capitaine Nemo, père d’une de ses amies. En effet, ce dernier est un pirate des mers pillant les trésors du milieu marin. Il souhaiterait rallier Pipi-chan à ses actions de pirateries, voyant cette petite sirène comme un moyen de subtiliser plus facilement perles et pierres précieuses.
Comme cela était très courant dans les premières œuvres de Tezuka, le récit fourmille d’actions qui se succèdent les unes les autres, apportant toujours plus de situations rocambolesques au scénario. Le mangaka maîtrise ainsi agréablement le fil de son histoire, sans se perdre malgré les nombreux rebondissements qu’il y distille.

Ce manga est disponible dans la collection Tezuka Osamu Manga complete Works éditée chez Kodansha.



A propos de cette œuvre

Parmi les milliers de personnages que Tezuka créa et qu’il utilisa à de nombreuses reprises, tels des acteurs jouant de nouveaux rôles, il en fera de même avec Pipi-chan. On peut ainsi considérer que ce dernier est réutilisé dans Blue Triton (1969) avec Pipiko accompagnant le jeune héros, ainsi que dans une aventure d’un de ses personnages les plus célèbres et qui marqua la décennie 70, Black Jack (1973-83, 242 aventures). De même, la sirène fut un type de personnages qu’il aima à mettre en scène dans d’autres œuvres, comme sur le papier avec Angel’s Hill (1960-61), ou à l’écran avec le très beau court métrage La sirène (1964).

En ce qui concerne la présence du capitaine Nemo dans ce manga, elle s’explique en partie par le fait que Tezuka, grand lecteur et d’une grande culture, aimait à introduire dans ses œuvres de jeunesse, outre des personnages historiques, des personnages de littérature ou du cinéma ayant une notoriété mondiale. Comme pour le capitaine Nemo, ces personnages n’avaient pas pour fonction de faire précisément référence à l’œuvre à laquelle ils appartenaient, sinon de nom, avec parfois en le modifiant quelque peu, un jeu de mot sur le patronyme. On pourra citer par exemple Monte Christ (pour Monte-Cristo) dans Age of adventure (1951-53) et Swallowing the Earth (1968-69). De même dans Age of adventure sera présent un certain Arsène Lupin que l’on retrouve avec Sherlock Holmes dans Kaseki-jima (The Fossil Island, 1951). On ajoutera que le personnage de Pipi-chan apparaissait dans le chapitre conclusif de cette dernière œuvre citée. Celle-ci fut publiée en décembre 1951, en même temps que le début de la publication des aventures de Pipi-chan dans le Omoshiro Book des éditions Shueisha, ce jusqu’en mai 1953. C’était également dans ce volume, l’une des premières fois que l’auteur se représenta sous la forme d’un personnage ayant sa propre identité, chose qu’il renouvellera tout au long de sa carrière.

On notera qu’habituellement, dans les différentes traductions japonaises du roman Vingt mille lieues sous les mers, capitaine Nemo s’écrit Nemo senchô [ネモ船長]. Mais Tezuka l’écrira quelque peu différemment avec Nemo teichô [ネモ艇長]. Contrairement au terme senchô qui désigne de manière générale le capitaine d’un bateau, et plus particulièrement pour un lecteur japonais, le capitaine d’un bateau de pêche avec une certaine connotation de familiarité et de chaleur humaine (c’est par ailleurs ce terme quelque peu archaïque qui fut et est encore utilisé dans les traductions de Vingt mille lieues sous les mers au Japon), le terme teichô désigne, plus précisément, le capitaine d’un certain type de vaisseaux de guerre (il est tout de même parfois utilisé pour les submersibles).
Pour un sous-marin / sensuikan, le terme usité pour désigner le capitaine de ce bâtiment est kanchô [艦長], tout comme pour un cuirassé / senkan. On peut alors s’interroger : pourquoi Tezuka n’a-t-il pas emprunté ce terme semblant plus adéquate dans l’après-guerre ? Sans doute pour ne pas utiliser un mot ayant une connotation particulièrement guerrière et militariste, les sous-marins japonais et les cuirassés ayant participer à de terribles missions lors du dernier conflit mondial. Tezuka désirait peut-être, pour son personnage qui était moins honnête que le capitaine Nemo de Jules Verne, lui octroyer un nom qui lui ôte le coté dirons-nous sympathique que lui avait offert la traduction japonaise. Il ne voulait cependant pas se servir d’un mot évocateur d’un passé encore trop proche. Peut-être est-ce ainsi que son choix se porta sur le mot teichô, terme plus généraliste. Les jeunes lecteurs d’alors pouvaient identifier le personnage fourbe de Tezuka, et le différencier du capitaine Nemo, plus noble, qu’ils découvraient dans le roman de Verne.
De plus, le terme teichô peut avoir un sens proche de celui de vaisseau torpille ce qui, à la vue du capitaine Nemo de Tezuka, s’explique par le fait que le personnage à une double nature physiologique, son corps pouvant s’approprier les caractéristiques d’une torpille.

Sans que Tezuka n’ait adapté aucun des Voyages extraordinaires de Jules Verne, on remarquera toutefois que se noient dans son exponentielle production, quelques autres références verniennes. On peut citer pour exemple qu’une aventure du Captain Ozma (1963) se déroulait au centre de la terre.



Références à propos des termes senchô et teichô :

[Pour la série d’animation japonaise du studio Gainax Nadia le secret de l’eau bleue (1990), le terme utilisé pour désigner le grade de Nemo est senchô, tout comme dans la traduction japonaise du roman de Jules Verne]

[On notera que si Tezuka fut un des rares artistes à avoir associé le terme teichô à Nemo, cette désignation sera utilisée également pour ce personnage, dans l’adaptation (doublage) japonaise d’une production cinématographique franco-italienne : Il Giro Del Mondo Degli Innamorati Di Peynet/ Le tour du monde des amoureux de Peynet / ペイネ 愛の世界旅行 (1974). De par la présence, si courte soit-elle, du capitaine Nemo dans ce long-métrage d’animation, nous vous invitons à lire l’article que nous consacrons à cette œuvre.]



Surpopulation

Comme Tezuka le fit à l’échelle de son média, il faisait encore preuve d’anticipation en créant cette histoire dont le thème, mis en exorde de cette aventure, était alors peu présent dans les fictions de l’époque.
Dans le contexte d’alors, en 1950, la surpopulation commençait quelque peu à inquiéter les spécialistes de la démographie. En effet, la population mondiale avait atteint quelques 2,5 milliards d’habitants, pour 1,5 milliards en 1900, soit une augmentation d’un milliard en 50 ans, alors qu’elle était parvenue au milliard au cours du 19ème siècle, cela en plus de dix mille ans. Les mois qui précédèrent la création des premières pages de ce manga voyaient l’Inde adopter une politique de limitation des naissances, limitation qui n’était pas pour maintenir un certain taux de la population mondiale, mais qui entrait dans le cadre économique du pays. Au contraire, malgré quelques tentatives de contrôle des naissances, la République Populaire de Chine encouragea, dès sa formation en 1949, la natalité sans limitation, accordant à cette politique, la puissance du pays. Il faudra attendre 1979 pour que soit appliquée la loi sur l’enfant unique. Pour ce pays qui se faisait appeler l’Empire du Milieu, ces deux extrêmes étaient fort éloignés d’un certain équilibre que tout centre implique.
Mais si Tezuka Osamu s’intéressa au problème démographique, c’était sans doute et en premier lieu parce que le Japon fut le tout premier pays à adopter dans l’ère moderne, à partir de juillet 1948, une politique destinée à réduire la natalité et à limiter sa population. Celle-ci se composait au début du 20ème siècle de 43 millions d’habitants, atteignant les 70 millions en 1940. Malgré la guerre et celle-ci terminée avec un million de mort pour l’Archipel, le taux de la population se maintint et remonta rapidement, avec notamment quelques 7 millions de japonais revenus du continent. En 1967, la population japonaise se composera de 100 millions d’individus, pour atteindre à ce jour, le nombre de 128 millions.
La dramatisation de la croissance démographique prit de plus en plus d’importance au cours des années 50. A partir de 1954, on parle alors de ce problème en utilisant les termes de The population bomb ou Population explosive. Les romanciers d’anticipation commencent alors à cogiter sur ce thème, cela de diverses façons, comme avec Tous à Zanzibar de John Brunner en 1968, ou dans le recueil Les monades urbaines de Robert Silverberg en 1970, présentant pour ce dernier une population atteignant quelques 75 milliards d’humains.
Mais déjà, en 1930, des spécialistes des problèmes politiques et économiques des pays d’Extrême-orient avaient analysé la situation dans ce sens. Etienne Dennery (1903-1979)*, professeur en science politique et diplomate français qui officia en Pologne, en Suisse et au Japon, publia cette année-là un livre des plus évocateurs Foules d'Asie : Surpopulation japonaise, expansion chinoise, émigration indienne - La surpopulation asiatique et sa menace pour la paix mondiale. La même année, alors qu’il est ordonné prêtre, le missionnaire Maurice Quéguiner (1907-1971) écrivit Surpopulation en Inde et au Japon. On peut ainsi remonter encore jusqu’à la fin du XIXème siècle, où compris en une seule entité, la surpopulation des pays asiatiques inquiétait l’Occident qui créa alors le terme connoté de péril jaune. A cet égard, Jules Verne avait également abordé quelque peu le thème de la surpopulation dans son œuvre, mais seulement dans ce cadre restrictif de la population chinoise. En effet, si dans le monde contemporain de Jules Verne, le danger d’une surpopulation mondiale n’est pas encore acquis, la menace du péril jaune était devenue une idée fixe liée à tout une imagerie de phantasmes occidentaux envers l’Extrême-Orient. Quelques lignes de Jules Verne en témoignent :

On sait, en effet, que la population de la Chine est surabondante et hors de proportion avec l’étendue de ce vaste territoire, diversement mais poétiquement nommé Céleste Empire, Empire du Milieu, Empire ou Terre des Fleurs.
On ne l’évalue pas à moins de trois cent soixante millions d’habitants. C’est presque un tiers de la population de toute la terre. Or, si peu que mange le Chinois pauvre, il mange, et la Chine, même avec ses nombreuses rizières, ses immenses cultures de millet et de blé, ne suffit pas à le nourrir. De là un trop-plein qui ne demande qu’à s’échapper par ces trouées que les canons anglais et français ont faites aux murailles matérielles et morales du Céleste Empire.
C’est vers l’Amérique du Nord et principalement sur l’État de Californie, que s’est déversé ce trop-plein. Mais cela s’est fait avec une telle violence, que le Congrès a dû prendre des mesures restrictives contre cette invasion, assez impoliment nommée «la peste jaune». Ainsi qu’on l’a fait observer, cinquante millions d’émigrants chinois aux États-Unis n’auraient pas sensiblement amoindri la Chine, et c’eût été l’absorption de la race anglo-saxonne au profit de la race mongole.
Quoi qu’il en soit, l’exode se fit sur une vaste échelle. Ces coolies, vivant d’une poignée de riz, d’une tasse de thé et d’une pipe de tabac, aptes à tous les métiers, réussirent rapidement au lac Salé, en Virginie, dans l’Oregon et surtout dans l’État de Californie, où ils abaissèrent considérablement le prix de la main-d’œuvre.


Jules Verne, Les tribulations d’un chinois en Chine (1878)

Ou encore dans ce passage :

— Nous le savons, monsieur Bennett, répondit l’ambassadeur de Russie. Mais fait-on ce que l’on veut ? Poussés nous-mêmes par les Chinois sur notre frontière orientale, il nous faut bien, coûte que coûte tenter quelque effort vers l’Ouest...
— N’est-ce que cela, monsieur, répliqua Francis Bennett, d’un ton protecteur. Eh bien ! puisque la prolification chinoise est un danger pour le monde, nous pèserons sur le Fils du Ciel. Il faudra bien qu’il impose à ses sujets un maximum de natalité qu’ils ne pourront dépasser sous peine de mort. Cela fera compensation.
[On note ici que Jules Verne faisait preuve d’anticipation, 90 ans avant que la Chine ne prenne la décision d’imposer la limitation des naissances à un enfant par couple].

Jules Verne, La journée d’un journaliste américain en 2889 (1889)

La surpopulation sera également l’un des thèmes de l’adaptation très libre de L’île mystérieuse dans Mysterious Island (1961) de Cy Endfield. En effet, le capitaine Nemo, campé par Herbert Lom, y fit l’expérience de créer des espèces animales géantes, cela afin de pourvoir en nourriture le besoin alimentaire futur d’une population terrienne devenant de plus en plus nombreuse. Si cet aspect démographique n’est pas suggéré dans Captain Nemo and the Underwater City (Le Capitaine Nemo et la ville sous-marine, 1969), l’élément marin y est montré toutefois comme un lieu supplémentaire faisant vivre et nourrir toute une population.



* Agrégé d’Histoire et de Géographie, Etienne Dennery fut en 1936 le co-fondateur de la revue Politique étrangère. Dans la dernière partie de sa vie, de 1964 à 1975, il fut Administrateur général de la Bibliothèque National et directeur des bibliothèques de France et de la lecture publique.



Tezuka Osamu

En 1951, Tezuka n’était pas encore le dieu du manga qu’il allait devenir les décennies suivantes. Titre qui lui est toujours octroyé depuis sa disparition en 1989, et qui le sera à jamais. Mais sa renommé était déjà telle, qu’elle dépassait la plupart de ses condisciples. Depuis ses débuts en 1946 à l’âge de 17 ans, il avait signé, parmi déjà un grand nombre d’œuvres pour un jeune artiste, quelques grands succès, comme La nouvelle île au trésor en 1947, un ouvrage qui, dans sa forme, allait donner naissance au manga dit moderne. Ce triomphe fut suivi par d’autres réussites dont plusieurs inspirées d’œuvres occidentales telles Lost World (1946-48), King Kong (1947), Metropolis (1949) ou Faust (1950). C’est également quelques mois avant la création de Pipi-chan qu’il donna naissance à deux œuvres qui allaient asseoir encore davantage sa popularité, à savoir Jungle Taitei (Léo, l’empereur de la jungle) débutant en novembre 1950, et Tetsuwan Atom (Astro le petit robot) qui fit ses tous premiers pas mécaniques en avril 1951. S’en suivra une monumentale activité artistique, certains diront industrielle, qui le conduira dans le monde de l’animation, où là encore il se fera pionnier, créant la première série d’animation japonaise pour la télévision. Il s’agissait de l’adaptation de Tetsuwan Atom dont le premier épisode fut diffusé le 1er janvier 1963. A cet égard, je vous invite à lire un texte rédigé par l’auteur de ces lignes, et contant la naissance des séries d’animation japonaises entre 1963 et 1964 : Mushi, Tôei, la guerre du feu.
Si Tezuka Osamu est resté inconnu du public de l’hexagone jusqu’au milieu des années 90, malgré la diffusion à la télévision française (ORTF) de deux séries d’animation qu’il produisit en 1967, à savoir Ribbon no kishi (Prince Saphir diffusée en 1972) et Shin Jungle Taitei Susume Leo (Le Roi Léo diffusée en 1974, puis à nouveau en 1990 avec cette fois-ci la première série Jungle Taitei de 1965), et ce également malgré sa venue quasi ignorée au Festival Internationale de la Bande Dessinée d’Angoulême en 1982, il n’en est plus de même, les professionnels de l’édition (Asuka, Cornélius, Delcourt, Tonkam...) ayant depuis le début du 21ème siècle décidé de publier activement un grand nombre de ses manga. Parmi celles-ci figurent des œuvres d’une extraordinaire puissance narrative. Pour exemple, les fresques que sont Phœnix l’oiseau de feu, Bouddha, et Les trois Adolf, de même que Demain les oiseaux, Avaler la Terre, Barbara, Ayako, Kirihito ou encore L’arbre au soleil.

Jacques Romero, 09/2008

Remerciements pour leur aimable participation à Messieurs :

Uchû Senshi Edomondo [traducteur du manga Galaxy Express 999 de Matsumoto Leiji] pour la lecture du manga et ses éclaircissements quant au statut de Nemo : teichô et senchô.

Patrick Honnoré [traducteur d’œuvres littéraires japonaises et de nombreux volumes de Tezuka Osamu] pour ses précisions touchant également aux termes teichô et senchô.

<< liste des œuvres