roman

Corsaire Triplex (Paul D’Ivoi, 1898)


Corsaire Triplex  (Paul D’Ivoi, 1898)
titre original :Corsaire Triplex
type :roman, 420 pages
année :1898
pays :France
auteur :Paul D’Ivoi
illustrations :Louis Tinayre
éditeur :Boivin & Cie, Combet & Cie, Tallandier, J’ai lu
collection :Voyages excentriques


A propos de cette œuvre

Corsaire Triplex est le cinquième roman issu des récits des Voyages excentriques écrient par Paul d’Ivoi (Deleutre se son vrai nom, 1856-1915), ceux-ci se composant de 21 volumes rédigés entre 1894 et 1914. Ce roman s’inspire quelque peu à sa façon de Vingt mille lieues sous les mers, tout comme les autres volumes des Voyages excentriques s’inspirent des Voyages extraordinaires de Jules Verne, que cela soit au travers des aventures qui y sont contées, que de par la forme même de la première édition adoptant un visuel proche des éditions Hetzel (on citera notamment le septième des Voyages excentriques, Le Docteur Mystère, faisant référence à La maison à vapeur, et où le personnage-titre tente de libérer l’Inde du joug anglais et des brahmanes). On notera également que s’ils sont plus excentriques, ces voyages sont aussi plus électriques de par les inventions qui y sont présentées. De même, si l’écrivain adopte un style de narration et un ton qui se veut proche de celui de Jules Verne, il est toutefois légèrement en deçà de la qualité littéraire de ce dernier. Mais son œuvre reste tout de même une lecture fort agréable dans ce genre dit populaire, et elle sera notamment appréciée par Jean-Paul Sartre qui aimait cette excentricité que l’on pouvait y rencontrer. Comme de nombreux Voyages extraordinaires étaient parus dans Le Magasin d’éducation et de récréation, des Voyages excentriques paraîtront tout d’abord en feuilleton dans Le Petit Journal.

Il est amusant de constater qu’en 1858, à Paris, un certain Paul d’Ivoi accompagnait l’ingénieur Jean-François Conseil qui mit à flot, dans les eaux de la Seine, un sous-marin de sa conception qu’il nomma Nautilus, comme Robert Fulton le fit 60 ans plus tôt. Jules Verne rencontra cet ingénieur avec qui il devint ami, et lui rendit hommage au travers du valet du professeur Aronnax. Le Paul d’Ivoi en question devait être le père de l’écrivain des Voyages excentriques, Charles Deleutre (1814-1861), qui tout comme son propre père, le journaliste Edouard Deleutre, utilisait également le patronyme de Paul d’Ivoi pour signer quelques uns de ses écrits.

Le roman Corsaire Triplex n’est absolument pas une adaptation de Vingt mille lieues sous les mers, mais en hommage à celui-ci, il se permet d’adopter deux principaux éléments issus de cette œuvre. A savoir la présence du submersible et l’ambiguïté sur la signification du nom du personnage central. La vengeance étant au centre de cette intrigue pleine d’aventures, le roman emprunte également de la sorte une influence certaine au Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas père (et incidemment à Mathias Sandorfde Jules Verne). Mais si le comte devait s’en prendre à trois personnes de hauts pouvoirs pour se venger, dans ce roman il s’agira de trois victimes qui s’associeront pour tenter de montrer à la face du Royaume-Uni, les crimes d’un seul homme, ceux de sir Allsmine, le chef de la police du ‘‘continent’’ australien alors encore sous tutelle anglaise. Celui-ci officiant à Port Jackson (qui deviendra Sydney) dans la Nouvelle Galles du Sud où se déroulera une grande partie de l’action, n’avait pas hésité, pour atteindre la haute fonction qu’il occupait, à faire disparaître dans la mort, un père (lord Green) et son enfant (miss Maudlin), épousant entre temps Joan Heart la veuve éplorée, et dont le cousin Joë Pritchell, âgé de 15 ans, fut accusé du vol d’une miniature de lord Green, miniature qui avait été mise dans les affaires du jeune Pritchell par sir Allsmine lui-même.

Ce n’est que dans la seconde partie du volume que l’on apprendra la véritable identité du Corsaire Triplex dont le nom est construit avec une logique identique à celui du Capitaine Nemo. Ce dernier signifiant personne, le Corsaire Triplex, lui, représente trois individus différents ayant abandonné leur identité. On remarquera d’ailleurs que tous trois sont connus sous trois identités distinctes. Ainsi on retrouve Robert Lavarède, s’étant surnommé Zéro, et désirant fuir une identité qui lui a été imposée lors d’un voyage en Egypte (faisant directement référence au troisième Voyages excentriques, Cousin de Lavarède titré parfois dans des éditions abrégées Le Diamant d’Osiris ou Le bolide de Lavarède, titre des deux parties du roman, dont une aventure sera nommée Dix mille lieues dans les nuages. Robert y est un écho de Robur le conquérant de Jules Verne, pilotant dans les airs son Gypaète comme Robur son Epouvante dans Maître du monde. On le retrouvera à nouveau dans une aventure égyptienne avec son cousin Armand dans La capitaine Nilia qui fait suite au Corsaire Triplex, et dont le nom même de l’héroïne, de par sa signification, sera encore un écho au capitaine Nemo). Après diverses aventures, il se retrouva en prison en Australie sous l’ordre de sir Allsmine. Quant à Armand Lavarède, le héros des Voyages excentriques, s’il n’a pas ici le premier rôle, il a tout de même quelques scènes d’importances. Les deux autres personnalités formant Triplex ont-elles un désir de vengeance bien supérieur à Robert, puisque qu’il s’agit de miss Maudlin, dont Paul d’Ivoi donnera quelques indications de sa réelle identité, alors que l’on fait sa connaissance en apprenant qu’elle est un jeune orphelin simple d’esprit ayant approché sa mère qui n’a pu la reconnaître ainsi (procédé souvent usité par l’écrivain). Cette première rencontre depuis environ quinze ans fut le fait de James Pack, le secrétaire de sir Allsmine, dont on apprendra au fil du récit ses autres identités, celle du Corsaire Triplex qu’il a créé, et sa véritable en la personne de Joë Pritchell.

La référence au Comte de Monte-Cristo est à nouveau de mise (outre de par les différents visages qu’il adopta), car celui qui va être à la tête du trio nommé Corsaire Triplex va, quelques années plus tôt, apprendre d’un marin sur son lit de mort, l’emplacement d’un gisement d’or sur un îlot de l’Archipel de Cook. Cette source aurifère va lui permettre de réaliser en tant qu’ingénieur, le sous-marin qu’il a créé, et ainsi de se venger également. C’est par ailleurs sur cette île nommée l’Ile d’Or, ayant des caractéristiques semblables à l’île volcan où le Nautilus se réfugie dans Vingt mille lieues sous les mers (Deuxième partie, chapitre 10, Les houillères sous-marines), que l’aventure de Corsaire Triplex prendra fin, et où sera dévoilée aux autorités, et par le biais du cinématographe, la culpabilité de sir Allsmine filmée quelques mois plus tôt par Triplex qui l’avait fait enlever. Paul d’Ivoi, qui écrivit cette aventure en 1898, met ici en scène le cinématographe des frères Lumière, trois ans après que ces derniers en ait déposé le brevet, tout comme il évoquera entre autre les rayons X découvert par Conrad Röntgen, la même année, en 1895.
Un autre clin d’œil littéraire sera apporté par le biais de James Pack, cachant sa véritable identité dans la peau de ce dernier qui est bossu, et étant très souvent aux cotés de sir Allsmine, de par son statut de secrétaire, s’en que celui-ci ne se doute de la supercherie. Cela est bien évidemment une référence au Bossu que Paul Féval écrivit en 1858.

C’est également dans la seconde partie du roman que l’on découvre le submersible qui participera à réparer l’injustice. Le sous-marin, ou pour être plus précis les trois submersibles construits par Triplex, et qu’il nommera tout simplement bateau n°1, bateau n°2 et bateau n°3, dispose d’intérieur proche de ceux du Nautilus. On y retrouve notamment un salon où sont entreposés divers objets artistiques ou archéologiques, mais aussi un piano en palissandre en lieu et place de l’orgue du Nautilus. Mais ses touches ne sont pas ici la cause de quelques musiques, leurs fonctionnalités étant de transmettre divers commandements à travers tout le bâtiment. Comme pour le Nautilus, les trois sous-marins sont équipés d’un moteur et d’un système électrique qui les propulse.
En référence à Vingt mille lieues sous les mers, on aura droit également à quelques promenades sous-marines en scaphandres, à l’évocation de la pêche perlière, à l’attaque d’un requin marteau, ainsi qu’à des observations sur les éponges et les coraux. De même que le trio prisonnier de Nemo eut affaire à des cannibales, nos héros ayant mis pied à terre à Bornéo, pour chasser, se retrouveront prisonniers du peuple Dayak (nom regroupant toutefois différents groupes) considéré à l’époque comme des mangeurs d’hommes et des réducteurs de tête. A cet égard, Paul d’Ivoi évoquera l’exploratrice Ida Pfeiffer qui avait séjourné parmi eux entre 1851 et 1853. D’après l’anthropologue Paul Wirz (1892-1955), les Dayaks auraient coupé leurs dernières têtes sous l’occupation japonaise, entre 1942 et 1945. Quant au cannibalisme, il semble qu’ils aient abandonné cette pratique depuis bien avant, s’ils l’ont véritablement pratiqué, cela ayant été plutôt le fait des Bataks. Mais dans cette aventure, les Dayaks semblent avoir quelques élans de gourmandises attentionnées, emprisonnant leurs victimes gastronomiques dans une forêt de camphriers dont les propriétés anesthésiantes occultent chez les sujets qui y sont exposés, l’appréhension de devenir nourriture, et cela pour les rendre meilleurs, le stress donnant un mauvais goût à toutes viandes.

Au contraire de Jules Verne dont le Nautilus faisait encore parti de l’anticipation scientifique en 1869, malgré les différentes expériences qui avaient jusqu’alors eu lieu, Paul d’Ivoi inscrit son roman dans la réalité de 1898, donnant aux submersibles de son roman, des origines réelles. Il rend ainsi hommage à l’ingénieur Claude Goubet (1837-1903) dont le Corsaire Triplex avait conçu ses sous-marins en empruntant les caractéristiques techniques du véritable Goubet 1 mis en service en 1887 (puis le Goubet II en 1889) avec le soutien du Ministère de la Marine, que cela soit pour la propulsion à l’électricité ou sa puissance (bien évidemment fiction oblige, le submersible de Triplex est bien plus grand que le Goubet avec ses 5 mètres de longueur). Mais à l’heure où Paul d’Ivoi écrivait son roman, Claude Goubet était ruiné, son sous-marin n’ayant pas été retenu par les militaires qui lui préférèrent quelques temps plus tard le Gymnote, puis le Narval. De la sorte, Paul d’Ivoi fait acte d’une certaine justice, non pas que la Marine française soit directement coupable de la ruine de Claude Goubet, mais elle y a contribué en lui ayant accordé son soutien, pour ensuite avoir donné sa préférence aux travaux de Gustave Zédé et Henri Dupuis de Lôme. C’était ainsi en quelque sorte une petite vengeance de la part de Paul d’Ivoi qui fera des submersibles de Triplex, des bâtiments anglais, le Corsaire étant avant tout australien. C’est à cet effet un des Voyages excentriques où Paul d’Ivoi n’appuie pas trop son nationalisme français (même si l’élément négatif du récit est anglais), et se montre également modéré dans ses observations sur les Dayaks, se laissant hélas parfois aller dans d’autres aventures, à quelques propos racistes noyés dans une littérature qui en était alors assez coutumière, du fait en partie de son époque.

On notera également que Paul d’Ivoi avait inscrit le sous-marin Goubet, quatre ans plus tôt, dans Les cinq sous de Lavarède (deuxième partie, chapitre 27, pour l’édition Boivin & Cie de 1931, co-écrit avec Henri Chabrillat), premier volume des Voyages excentriques qui s’inspirait du Tour du monde en 80 jours, en faisant de celui de Lavarède un tour du monde limité non plus par le temps, mais par l’argent. Pour ce roman, de son vivant, outre la pièce de théâtre qui sera jouée au Châtelet en 1902, il aura connu la première adaptation cinématographique chez Pathé Frères réalisée en 1913 par Henri Andréani (pour qui il écrivit quelques scénarii). Le roman sera à nouveau adapté sur grand écran en 1927 par Maurice Champreux, puis à partir de mars 1939 sera projeté le film de Maurice Cammage, avec Fernandel dans le rôle d’un Lavarède débridé. Paul d’Ivoi aura à cet égard quelques menues expériences dans le cinéma dans les quelques années précédant sa mort. Les cinq sous de Lavarèdeconnu aussi une adaptation en bande dessinée paru également en 1939, dans le magazine L’épatant, avec les dessins de Pellos, célèbre pour sa reprise des Pieds Nickelés. Elle connaîtra une édition sous forme d’album en 1982. Une autre adaptation BD paraîtra en 1961 dans Le journal de Mickey, du n°468 au n°489, sous les dessins de Berthelemy. Le Corsaire Triplex n’ayant pas eu cet honneur, il semble que ce soit la seule aventure d’Armand Lavarède, ainsi que le seul roman de Paul d’Ivoi, ayant été adaptée.

Bien que l’œuvre de Paul d’Ivoi ne soit pas comparable à celle de Jules Verne, s’inscrivant plus encore dans la littérature d’aventures qui ne cherche pas la vraisemblance, se destinant avant tout à divertir et amuser, elle offre toutefois quelques observations et références réalistes inscrites dans son époque, et dessinant tout comme Verne, une certaine géographie occidentalisée du monde.

Jacques Romero, 04/2008

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