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Le démon des glaces (Jacques Tardi, 1974)


Le démon des glaces (Jacques Tardi, 1974)
titre original :Le démon des glaces
type :BD, 64 pages
année :1974
pays :France
scénario / adaptation :Jacques Tardi
dessins :Jacques Tardi
éditions :Dargaud (1974), Casterman (1987)


A propos de cette œuvre

Magnifique est sans aucun doute l’un des qualificatifs que l’on peut émettre sur cette troisième bande dessinée illustrée par Jacques Tardi, et dont c’était le deuxième scénario qu’il signait. Maître du noir et blanc, à l’instar d’un Pratt ou d’un Comès, il s’illustre dans cet album avec une sensibilité artistique qui rejoint l’imagerie vernienne d’Alphonse de Neuville et d’Edouard Riou. La force de son noir et blanc surpasse par ailleurs les couleurs de bien des albums actuels.
S’il n’adapte pas un roman de Jules Verne en particulier, il s’inspire très fortement de quelques uns de ces récits. Ainsi une grande partie de l’action se déroulant dans l’Océan Arctique évoquera quelque peu Voyages et aventures du capitaine Hatteras, les armes feront références au roman Face au drapeau, et par de nombreux autres aspects Vingt mille lieues sous les mers sera mis en perspective, de par entre autre les fonds marins et divers éléments comme les scaphandres et le submersible.
De même, le titre de l’album, Le démon des glaces, fait écho au roman Le sphinx des glaces écrit par Jules Verne qui montrait ainsi son admiration envers l’écrivain Edgar Allan Poe, Le sphinx des glaces étant une suite au roman Aventures d’Arthur Gordon Pym de Poe.

Tardi narre avec talent une étrange aventure vécu par un certain Jérôme Plumier, jeune étudiant français en médecine. En 1889, voyageant à bord de l’Anjou, il est, comme tous les voyageurs et les membres de l’équipage, témoin d’une curieuse rencontre dans les eaux arctiques. L’épave du navire The Iceland Loafer se trouve échoué au sommet d’un iceberg, évoquant ainsi l'Halbrane dans Le sphinx des glaces. Après avoir découvert comment l’épave s’était retrouvée au dessus des flots, une embarcation est mise à l’eau avec quelques hommes d’équipage, ainsi que Jérôme Plumier qui a obtenu l’autorisation du capitaine pour les accompagner. Arrivés sur les lieux du drame, ils découvrent les membres de l’équipage du Iceland Loafer saisis par le froid dans leurs derniers gestes, et celui du capitaine à son bureau, indiquait du doigt, un point sur une carte.
Mais alors qu’ils exploraient encore ce sinistre navire fantôme, une grande explosion se fit entendre et l’Anjou, qui en était l’objet, sombra. Nul ne s’expliquait cela. Plumier et les hommes qu’il avait accompagnés durent se battre contre le froid et la fin, avant que ne croise en cette mer de glace un navire hollandais qui ramena à Amsterdam les survivants dont Plumier faisait parti. Toutefois l’aventure ne faisait que commencer, le jeune homme ayant emporté avec lui la carte du capitaine de l’Iceland Loafer, il fût décidé à lever le voile glaciale des mystérieux évènements qu’il avait vécu.
Rentré à Paris, il rend visite à son vieil oncle Louis Ferdinand Chapoutier, bricoleur et inventeur original, mais celui-ci vient de mourir dans l’indifférence familiale, son enterrement ayant été déserté, si ce n’est la présence énigmatique d’une vieille femme. Jérôme Plumier découvre dans le laboratoire de son oncle des choses qui ne cadre pas avec celui-ci. De plus, il apprend par les journaux que d’autres navires ont été victimes d’icebergs dérivants. Plumier ne peut en rester là, il s’interroge sur ces mystérieux accidents, si ce sont bien des accidents car l’Anjou lui n’a pas été victimes de la glace, mais semble-t-il d’une explosion bien plus importante qu’elle n’aurait due l’être par rapport à ce que contenait le navire. De plus, ce pourrait-il qu’il y ait un rapport avec la mystérieuse machinerie découverte dans le pavillon de son oncle et dont la tuyauterie est recouverte de glaces. Que de mystères, dont ceux des icebergs nous en rappellent un autre, celui d’un monstre marin attaquant les navires d’une certaine nation. D’ailleurs Jérôme Plumier, suivant les pas du professeur Aronnax, est bien décider à éclaircir cette affaire et s’embarquera sur le navire Jules Vernez, vaisseau dont la mission scientifique est justement de donner une explication aux mauvaises rencontres des navires dans les eaux arctiques...

Tardi n’oubliera pas de faire apparaître dans l’une de ses planches un céphalopode sous la forme d’une pieuvre, mais peut-être était-ce une vision de Plumier alors qu’il se noyait. On soulignera également que la cause de toutes ces disparitions maritimes, si elle est proche de la folie d’un Nemo, en est toutefois bien éloignée, l’auteur mettant en scène ici deux scientifiques devenus fous, dont l’oncle de Plumier qui n’est pas encore en compagnie des vers, voulant tout simplement se venger des hommes pour ne pas avoir été reconnus dans leur discipline. Cela est fort simplement exposé, tout comme le déroulement de l’ensemble du scénario qui nous emporte dans une histoire que Tardi a voulu en partie des plus classiques, faisant référence à la littérature populaire, jouant non pas sur la facilité, mais sur une forme appréciable de narration..

Le lecteur sera tout de même surpris par la résignation du présumé héros de cette histoire. A cet égard, le véritable protagoniste se battant pour sauver le monde préfigure en quelque sorte le fameux personnage d’Adèle Blanc-Sec, puisque celui-ci est une femme du nom de Simone Pouffiot. On l’a retrouvera par ailleurs dans l’album Momies en folies de l’héroïne précitée, tout comme le savant fou qui a conçu avec l’oncle de Plumier le démon des glaces. De même, on y recouvrira une atmosphère et une mise en scène assez proche. On notera également que les personnages censés représenter le bien ont une certaine facilité à aller vers son opposé. Plumier suit visiblement son oncle dans la folie, et Simone Pouffiot avant que de vouloir sauver le monde, désirait le détruire, alors que les savants devenus depuis fous ne voulaient que son bien.
La fin de l’histoire reste ouverte sur une catastrophe à venir. Si elle est de la sorte pessimiste, Tardi y souligne un sujet sur lequel il reviendra très souvent, à savoir la guerre, phénomène indissociable de l’humanité, qui comme cette dernière évolue et se perfectionne.

Tardi s’est également amusé tout comme Verne avec les noms, tel celui du savant fou Carlo Gelati (on notera la note d’humour pour celui-ci), ou pour le Placodus, un petit sous-marin armé qui comme le Nautilus empruntait son nom à celui d’un animal, en l’occurrence ici à une espèce préhistorique de reptile aquatique de l’ordre des Placodontes. De même, les odieux personnages de cette aventure, après que leur repère donnant le titre à cette bande dessinée est été découvert et attaqué, s’enfuient à bord de l’Ichtyornis, engin qui rappelle par ses multiples fonctions celle de l’Epouvante de Robur. Son nom provient d’un autre animal préhistorique, celui d’un oiseau du Crétacé ayant conservé quelques caractéristiques reptiliennes. D’ailleurs les savants fous du Démon des glaces ont tout du Robur du Maître du monde.

Jacques Romero, 10/2007

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