roman

Kaitei Gunkan / 海底軍艦 (Oshikawa Shunrô, 1900)


Kaitei Gunkan / 海底軍艦 (Oshikawa Shunrô, 1900)
titre original :Kaitei Gunkan / 海底軍艦
titre français :Le navire de guerre sous les mers
type :roman, 376 pages (édition 1974)
année :1900
pays :Japon
auteur :Oshikawa Shunrô
illustrations :Nakamura Fusetsu
éditions :Bunbu-Dô, Tôkyô, 15 novembre 1900 (1ère édition) / Holp Shuppan, Tôkyô, juillet 1974 (ré-édition)


A propos de cette œuvre

Oshikawa Shunrô (C) Waseda University Kaitei Gunkan (Le navire de guerre sous les mers, jamais traduit en anglais ou en français) fut écrit en 1900 par Oshikawa Shunrô (押川春浪, 1876-1914). Ce dernier fut l'un des premiers auteurs japonais de science-fiction, et le Gotengo de ce roman (que l'on connaît sous le nom d'Atragon pour sa version cinématographique internationale) était en quelque sorte le pendant du Nautilus au pays du soleil levant. Cet auteur fortement influencé par Jules Verne (voir Jules Verne au Japon) et dont c'était la première oeuvre était, tout comme l'auteur des voyages extraordinaires, un romancier que l'on considérait également peut-être trop facilement pour la jeunesse, même si ses écrits s'adressaient il est vrai en premier lieu à un lectorat juvénile, et qu'ils furent édités dans des éditions s'adressant à des adolescents.
Le contexte historique qui vit naître l'écrivain en tant que tel fut marqué par la Première Guerre sino-japonaise (1894-1895) voyant alors un Japon victorieux qui fort de sa modernisation, et prenant modèle sur les enseignements occidentaux, commença à étendre son empire en s'emparant de quelques territoires comme le sud de la Mandchourie ou Formose (Taiwan), de même que la Corée sous la forme d'un protectorat. Ainsi les romans d'aventures japonais se faisaient quelque peu le reflet de la puissance nippone de par cette victoire, mais allaient également faire acte d'une certaine dose d'anticipation quant à son avenir militaire. C'est de ce fait que ce roman prendra position dans le conflit qui se faisait alors entendre entre le Japon et la Russie, et qui allait donner lieu à la Guerre russo-japonaise de 1904-1905 avec notamment la prise de Port-Arthur.

L'histoire de Kaitei Gunkan débute pendant un voyage autour du monde, le narrateur rencontrant au départ de Naples une connaissance qu'il a connue pendant ses études. Celle-ci lui demande d'accompagner au Japon, un ami et son fils. Lors de la traversée, leur navire est attaqué et coulé par des pirates. Le narrateur et l'enfant vont dériver sur une petite embarcation. Ils finiront par s'échouer sur une île se situant près des côtes de Shikoku, où un sous-marin cuirassé est secrètement mis en construction. Ils feront ainsi la connaissance du colonel Sakuragi de la Marine Japonaise qui a en charge le commandement de cette mystérieuse opération, ainsi que de la mise au point du Gotengo, nom alloué au submersible. Après trois années de travaux, le navire est opérationnel et peut être mis à la mer. Les caractéristiques techniques sont fantastiques pour l'époque et le restent encore par ailleurs. Le bâtiment peut à la fois naviguer sous les mers comme un sous-marin, voguer sur les flots comme un cuirassé, et s'élever également au dessus des eaux. Son armement est aussi des plus redoutables puisqu'il est équipé de plusieurs armes, torpilles comprises. Diverses aventures suivront dont quelques péripéties contre un tsunami, et avec l'aide d'un croiseur, ils mettront un terme aux agissements des pirates.
Ces pillards des mers avaient été insérés dans cette histoire pour une raison qui faisait écho alors à l'actualité. En effet, ils s'agissaient de pirates d'origines russes et les tensions qui régnaient alors entre le Japon et la Russie auguraient le conflit à venir. Oshikawa Shunrô écrira un certain nombre d'aventures faisant suite à celle-ci, où l'ennemi sera entre autre anglais et français. Cela peut paraître quelque peu surprenant car l'entente entre la France et le Japon était alors plutôt positive depuis l'ouverture du pays près d'un demi-siècle plus tôt. Un certain nombre d'officiers d'état-major de l'armée japonaise a d'ailleurs suivis à cette époque une formation à l'Ecole Supérieure de Guerre Française. On peut en dire autant de l'Angleterre qui avait soutenu les japonais dans l'attaque de Port-Arthur et signé un traité d'alliance avec l'archipel en 1902. Le traité de paix qui conclura la guerre russo-japonaise sera par ailleurs établi en deux exemplaires, l'un anglais et l'autre français. Mais cela était, pour le capitaine mis en perspective dans le roman, à prendre avec peu de considération, les pays agissant toujours pour leur propre compte et pouvant à tout instant, pour quelques raisons géopolitiques que ce soient, être tout autant les ennemis que les amis qu'il furent. Etant également journaliste, Oshikawa couvrira de ce fait le conflit russo-japonais de 1904 à 1905 pour le magazine Shaijitsu Gahô aux éditions Hakubunkan. Pour le même éditeur, il écrira à partir de 1907 pour le magazine Bôken Sekai, cela jusqu'en 1911 où il créa son propre magazine Buykô Sekai. Il traduira également quelques ouvrages, comme peu avant sa mort L'île au trésor de Robert Louis Stevenson pour les éditions Shincho-sha.
Dans ce premier roman qui s'inscrivait dans un genre bien spécifique, celui du roman d'aventure militaire pour adolescent, outre le submersible qui est un engin usant de technologie moderne comme le Nautilus, l'auteur se plaît à insérer quelques autres clins d'oeil verniens. Parmi ceux-ci, on peut évoquer les naufragés, puis le thème de l'île mystérieuse abritant le submersible jusqu'à sa fin dans le roman de Verne, et ici servant de lieu de naissance pour le bâtiment jusqu'à son départ en mer. Le rôle du colonel Sakuragi, qui s'il n'a pas l'amplitude ou la dimension du personnage de Nemo, possède quelques traits intéressants similaires au capitaine du Nautilus. Ainsi on le sait déçu par la politique de son pays face aux puissances occidentales qui pour lui font preuve de malhonnêteté envers la plupart des pays asiatiques. Ce que Nemo fit face à l'humanité, Sakuragi le fera à un certain degré envers les ennemis du Japon.

Si l'histoire s'aventurait dans l'anticipation géopolitique, la mise en perspective du submersible en tant qu'armement militaire reposait sur l'intérêt que les différentes armées lui portaient alors, attention véhiculée par les avances technologiques du moment dues aux perfectionnements établis depuis la fin du 19ème siècle. De ce fait, même si le Gotengo était tout aussi en avance sur son temps que le Nautilus, l'engin en lui-même n'était plus un élément de science-fiction comme à l'heure où fut écrit Vingt mille lieues sous les mers (les prototypes d'alors étant bien loin du sous-marin moderne), mais bien une réalité issue de quelques chantiers navals. Au moment où Oshikawa écrivait son roman, la Marine Impériale Japonaise étudiait les travaux de l'ingénieur irlandais John Philip Holland qui, en 1895, venait de mettre au point un système de propulsion usant d'un moteur à combustion interne pour se déplacer à la surface des eaux, et des batteries électriques en immersion.
Dès 1904, le Japon acquière cinq sous-marins du modèle USS Holland mis en service par l'USS Navy. Les ayant reçus démontés, le temps de leur redonner forme au chantier de Yokosuka, ils furent opérationnels au cours de l'année suivante, donc peu avant la fin de la guerre russo-japonaise. De même, les torpilles qui n'étaient alors que des projets en 1869 sont depuis une dizaine d'années une réalité. La Russie avait également quelques unités de submersibles, mais lors de ce conflit, pour diverses raisons d'ordre technique ou de commandement, aucun des deux pays ne les utilisa directement pour le combat.
On soulignera encore qu'Oshikawa Shunrô signait ici un récit militariste d'anticipation, incorporant de par son submersible aux capacités extraordinaires, un élément proche de la science-fiction. Ce que feront d'autres auteurs de son époque comme Kitahara Tetsuzo avec La prochaine guerre*, ou Harada Masaemon avec Le Futur amer de 10 années de guerre entre le Japon et la Russie*. L'écrivain Unno Jûza (1897-1949), qui débuta dans le genre du roman de détectives, écrivit également des récits militaires de propagandes mâtinés de science-fiction. A cet effet, il rédigea en 1939 Ukabu Hikô Jima (L'île flottante pour avions), où le terme d'île flottante fait de suite penser à la ville flottante de Jules Verne. Mais ici il s'agissait plutôt d'une île porte-avion (on notera qu'en 1931 l'écrivain, scénariste et cinéaste Curt Siodmak présente dans son roman F.P.1 antwortet nicht – FP1 ne répond plus – une plateforme flottante au milieu de l'Atlantique telle une île servant de relais entre les continents. L'année suivante, son récit fut porté au cinéma par Karl Hartl, ce en trois versions – dont une française I.F.1 ne répond plus ! avec Charles Boyer – avec entre autres Peter Lorre pour l'originale allemande). De même comme pour la période se trouvant au milieu des conflits sino et russo-japonais, la Seconde Guerre sino-japonaise (1937-1945) vit une fois encore dans ce genre de littérature pour la jeunesse un outil de propagande, et ce dès le début des années 30 qui voyait le Japon s'emparer définitivement de la Mandchourie en partie occupée depuis la Première Guerre sino-japonaise. Pour exemple, le célèbre récit Tekichû Ôdan Sanbyaku-ri (750 miles through enemies, 1931) de Yamanaka Minetarô mettait en scène un épisode historique du conflit russo-japonais avec la bataille victorieuse de Kyokuhôten en 1905. Le livre portant glorieusement ce grand moment de l'Histoire du Japon fut soutenu par l'esprit nationaliste qui régnait alors sur l'empire. A partir de cet ouvrage, pendant la Guerre du Pacifique, Kurosawa Akira co-écrira un scénario avec Oguni Hideo, l'un de ses fidèles compagnons d'écriture. Ce scénario sera mis en scène en 1957 par Mori Kazuo pour la Daiei sous le titre Nichiro Sensô Shôri no Ishi : Tekichû Ôdan Sanbyaku-ri.

L'édition

L'éditeur Bunbu-Dô a publié de nombreux romans d'aventures. Avant le début du 20ème siècle, il avait notamment créé la collection Sekai Bôken-tan (Récits d'aventures du monde entier). On peut citer pour exemple la publication du roman Le Prince et le pauvre de Mark Twain ou plus tard le recueil de contes sur des personnages historiques Fifty Famous Stories Retold du professeur James Baldwin (1841-1925).
En juillet 1973, comme pour de nombreux romans anciens pour la jeunesse, une édition de Kaitei Gunkan conforme à la première fut publiée par l'éditeur Holp Shuppan.. La préface était signée par quelques généraux des forces navales japonaises, et le récit était agrémenté de diverses illustrations du peintre et calligraphe Nakamura Fusetsu (1866-1943). Ce dernier fut lors de son passage en France l'un des membres de l'association d'étudiants du Cercle du Panthéon créé à Paris en novembre 1900, peu après l'Exposition universelle. Il entra également à l'Académie Julian alors sous la direction de Jean-Paul Laurens, et fera parti de la Société de peinture du Pacifique. Il a notamment illustré des ouvrages consacrés à la poésie japonaise dans sa forme haïku.

Les adaptations

Le cinéaste Uchida Tomu (Le passage du grand Bouddha, Le détroit de la faim) adaptera à ses débuts le 6ème et derniers récits de ce genre écrit en 1907 par Oshikawa avec Tôyô Bukyô dan (1927). Il semble que ce fut la première adaptation d'une oeuvre de cet écrivain. Deux autres transpositions furent librement adaptées de Kaitei Gunkan. Il y eu tout d'abord Kaitei Gunkan / Atragon, long-métrage réalisé par Honda Ishirô en 1963, s'inspirant également du récit Kaitei Okoku (Le royaume sous-marin) écrit par Komatsuzaki Shigeru, écrivain et illustre dessinateur ayant participé à la conception du film. Si dans le cinéma occidental d'alors l'Atlantide était à l'honneur, Kaitei Gunkan / Atragon remplacera l'intrigue militaire du roman par la manifestation de l'Empire de Mu. Le monstre marin ne sera pas oublié, avec ici le dragon des mers Manda, dieu vivant du peuple de Mu (Honda réalisera également en 1969 un prolongement à ce film avec Ido zero daisakusen / Latitude zero). Puis, s'inspirant du roman au travers de ce film, deux OAV titrées Shin Kaitei Gunkan seront réalisées à partir de 1995. Ce format d'animation réalisé pour le marché de la vidéo s'offrait entre autres les talents de Yasuhiko Yoshikazu (Venus Wars, Crusher Joe, Arion) à la création des personnages. On peut également ajouter, même si ce n'est pas une adaptation, que la récente série d'animation Raimuiro Senkitan (2003) réutilise un récit fantastique pour évoquer le conflit russo-japonais du début du 20ème siècle. Bien évidemment le contexte de réalisation n'est plus le même, mais il reste toutefois quelques contentieux territoriaux entre les deux pays, pour exemple les îles Kouriles occupées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale par les russes qui en ont évacué les populations, dont les Aïnous qui y vivaient alors. Si la situation est bien différente, elle est toutefois encore très délicate, les deux pays étant toujours en désaccord sur ce point, et n'ayant d'autre part jamais signé l'acte de paix après le second conflit mondial qui a débuté entre ces deux pays quelques heures avant la fin de celui-ci. Un pêcheur japonais a par ailleurs perdu la vie en 2006, lors d'un contrôle des gardes côtes russes dans les eaux territoriales des îles Kouriles.

Jacques Romero, 08/2007

* Traduction d'Olivier Paquet. A lire, son étude sur l'uchronie dans la science-fiction japonaise prenant pour thème central la série d'animation du studio Gonzo Last Exile :
http://revel.unice.fr/cycnos/document.html?id=596


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